Accueilli pour la première fois au festival d’Avignon, le metteur en scène australien fait mouche avec ce spectacle inspiré de plusieurs œuvres d’Henrik Ibsen où, avec les acteurs du Toneelgroep d’Amsterdam, il bouscule la temporalité pour nouer au sein d’une maison familiale une série de drames librement inspirés du dramaturge norvégien.
Comment arriver à vivre dans une maison habitée par les fantômes douloureux du passé? Comment se reconstruire? C’est bien de cela qu’il s’agit dans Ibsen Huis sachant que la maison en question, on ne peut plus tangible puisqu’elle constitue le décor – et presque un personnage de ce spectacle –, est aussi bien sûr une métaphore. Depuis quelques années Simon Stone revient régulièrement à Ibsen dont il a notamment présenté Le Canard sauvage et John Gabriel Borkman.
Il est rare que ce metteur en scène australien aujourd’hui installé en Europe monte littéralement les classiques du répertoire. On a pu le constater récemment avec ses adaptations de Thyeste de Sénèque et de Médée d’Euripide où à chaque fois il aborde l’œuvre de biais, un peu comme s’il l’attaquait par surprise, pour en faire ressortir des aspects particulièrement saillants en la situant dans un contexte contemporain.
Dans ces deux spectacles, sa démarche dramaturgique s’appuyait sur une stratégie d’approche d’autant plus fulgurante qu’elle semblait au premier abord se démarquer librement de l’original, voire carrément l’ignorer. Curieusement ce n’est pas ce processus qu’il a choisi pour Ibsen Huis. En s’inspirant de plusieurs pièces du dramaturge norvégien – Les Revenants, Un ennemi du peuple, Une maison de poupée, Solness le constructeur, Le canard sauvage, Petit Eyolf, entre autres –, Simon Stone pétrit un matériau ibsénien pour en tirer avec l’aide des acteurs du Toneelgroep d’Amsterdam une œuvre originale.
Répétons-le, la notion d’architecture opère ici à l’évidence comme une métaphore d’autant plus parlante que tout y renvoie. À commencer par cette maison de vacances tout en transparence où une famille se retrouve régulièrement de la fin des années 1960 à aujourd’hui. Officiellement l’architecte concepteur de cette maison originale est Cees Kerkman (interprété par Hans Kesting). Mais l’affaire est autrement plus complexe. La scène où il est accueilli par l’ensemble de la famille avec une banderole le félicitant pour le prix qu’il vient de recevoir pour couronner son œuvre en dit long à cet égard.
Car au lieu de fêter l’événement avec les siens, il arrache la banderole de rage et gâche l’ambiance jouant les tyrans domestiques. Son épouse explique sa mauvaise humeur en y voyant un caprice d’artiste. Mais il est clair que l’excuse relève surtout du déni de réalité. Si à ce moment-là on ne sait pas encore qui est Cees, on devine que derrière sa façade autoritaire l’homme est peut-être plus un destructeur qu’un constructeur. Assez vite son portrait va se compléter en relation avec les autres protagonistes du drame un peu comme on reconstitue un puzzle.
Temporalité
Cette coexistence de différentes époques ajoute une dimension de fatalisme. Ainsi Caroline (interprétée respectivement par Janni Goslinga ou Eva Heijnen selon qu’elle est adulte ou adolescente), nièce de Cees, abusée sexuellement par celui-ci quand elle était enfant. Après avoir sombré dans la toxicomanie et l’alcoolisme, elle tente de se reconstruire. Ce qui signifie rebâtir la maison qui, entre temps, a brûlé et en construire d’autres sur le même modèle pour en faire des lieux d’accueil pour réfugiés. Mais le projet capotera.
Caroline qui, par ailleurs, veut réhabiliter Daniel, son frère, le véritable concepteur de la maison – Cees en l’affaire n’est qu’un usurpateur, il s’est approprié après coup l’œuvre de son neveu. Il y a aussi Jakob et Lina. Lina est la fille de Cees. On imagine qu’elle et son frère Sebastiaan ont subi les mêmes abus sexuels que leur cousine. Pourtant Lina soutient son père jusqu’au bout. Avec forcément des effets désastreux quand sa fille Fleur sera à son tour abusée par Cees. Au début du spectacle on les découvre, elle et Jakob, en jeunes fiancés se querellant avant leur mariage déjà problématique. Mais aussi dans les années 2000 alors qu’ils sont séparés. Comme si le temps était élastique; comme si le présent était un reflet déformé, voire aggravé du passé. Car de la maison en bon état au début de la représentation, il ne reste à la fin plus qu’un squelette.
Ce jeu sur la temporalité est pour beaucoup dans le succès de ce spectacle dont la forme compacte de pelote de laine qui se dévide tout en se reconstituant peu à peu sous nos yeux évoque par moments une série télévisée à l’intrigue redoutablement intriquée pimentée de références à l’écrivain norvégien. Là encore Simon Stone montre qu’il n’est pas seulement un formidable directeur d’acteurs, mais aussi un dramaturge particulièrement avisé et très fin connaisseur du théâtre d’Ibsen.
Ibsen Huis, d’après Ibsen, de et par Simon Stone
jusqu’au 20 juillet – Cour du Lycée Saint Jospeh – Festival d’Avignon
avec Celia Nufaar, Hans Kesting, Bart Klever, Maria Kraakman, Janni Goslinga, Claire Bender, Maarten Heijmans, Aus Greinadus Jr, Eva Heijnen, Bart Slegers, David Roos
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