« Dispersez-vous, ralliez-vous », Philippe Djian: émancipation d’une femme
L’écrivain se glisse dans la peau d’une femme de l’adolescence à la maturité. Un livre dans lequel il ne se passe rien, ou presque, qu’il est impossible de lâcher.
Le roman s’ouvre sur un suicide. Le ton est donné. Nul réconfort à attendre de la cellule familiale. Terreau de toutes les rancoeurs, de tout les non-dits avec lesquels chacun s’efforce de composer. De ce côté là, l’héroïne est particulièrement gâtée. Un frère, Nathan, qui est pour elle comme un étranger. Un père en fin de vie. Une mère qui a déserté le foyer et qui réapparaît quinze ans plus tard atteinte d’un cancer. Plus tard, la vie de couple avec ses petits arrangements. Puis l’arrivée d’un enfant que la jeune femme aura du mal à aimer. Aucun pathos pour autant. L’auteur se glisse avec aisance dans la peau de cette femme qui observe sa vie comme si elle n’était pas la sienne sans jamais commenter. Il est Myriam jusque dans les scènes de sexe qui n’en sont que plus troublantes. « La vie est une tragédie, non » demande l’un des personnages. Sous la plume de Djian assurément.
Le style à l’état pur
Quelques îlots de grâce se détachent pourtant de la noirceur ambiante. Les animaux que Myriam passe son temps à observer au zoo. Les levers de soleil. Le chant des oiseaux. Et surtout le sexe: « la troisième merveille du monde« . Sans lui la vie serait intolérable. Au lit comme ailleurs Myriam reste étrangère à elle même. Jusqu’à la révélation. C’est cette émancipation imperceptible que Philippe Djian suggère à la perfection. Celle d’une femme anéantie par sa mère qui parvient malgré tout à trouver un peu de douceur dans cette vie. « C’est bien de commencer tout bas (…) comme ça on a moins de surprises. Plus bas, ça n’aurait pas été possible ».
Ainsi, et contre toute attente, Myriam parviendra à aimer sa fille. « Rien, absolument rien dans ma vie n’avait jamais ressemblé à ce que j’éprouvais pour elle ». La puissance de cet amour maternel découvert sur le tard illumine ce roman moins sombre qu’il n’y paraît, ainsi que le suggère son titre inspiré d’un vers de Rimbaud. Flaubert rêvait d’un roman sur rien tenant par la seule force de son style. C’est le grand art de Philippe Djian qui n’hésite pas à se débarrasser des chapitres, guillemets, points d’interrogation et autres ponctuations superfétatoires: le style à l’état pur. Et quel style!
Dispersez-vous, ralliez-vous ! – Philippe Djian, 208 pages
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