Nomade au sein des immutables: Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #170
Marco, finalement sorti de son centre de rééducation et reparti sur les chemins, prend conscience du caractère circulaire de son nomadisme…
Une idée de l’immuable …
L’Ardèche était l’oasis où nous retournions avec une régularité quasi métronomique. Être nomade, cela ne veut pas dire suivre un cours aventureux – bien plutôt, c’est retrouver à intervalles plus ou moins réguliers des oasis qui nous rappellent qui nous sommes, sinon d’où nous sommes, ce que nos dérives sous le ciel du monde pourraient nous entraîner à oublier. A dessein peut-être?
La route suit le Rhône, puis remonte les vallées, et j’en reconnais presque tous les virages – les vieux platanes sont encore tous là, les serres et les vergers aussi. Le pays semble immutable, sauf pour des détails – il y a quinze ans il n’y avait pas de radar fixe à l’entrée de ce village, et la construction de la maison sur le coteau en face est terminée.
Nous arrivons – Robert habite toujours la maison en dessous de la route qui surplombe la rivière, mais sa mère a enfin été confiée aux bons soins d’une maison de retraite spécialisée et il a arrêté de faire son jardin depuis sa tentative de suicide. Les murs de pierre sont là, les arbres sont là, vingt ans ont passé, et il ne s’est vraiment rien passé, la rivière coule toujours au mitan de la vallée. Le monde est posé là, comme un théâtre où des ombres portées suivent des chemins à peine tracés.
Et un certain sens de l’immutable …
Après quelques jours dans mes souvenirs ardéchois me voilà de retour à Paris, à observer la canopée posée au-dessus du Forum des Halles et à me demander où coule l’eau quand il pleut. Dans la perspective j’aperçois Beaubourg, autre temple moderne autour duquel je gravite irrégulièrement depuis une quarantaine d’années – j’y ai glané des souvenirs de rencontres picturales (Lucian Freud, Bonnard, Magritte, Klee et d’autres encore), de soirées pluvieuses et froides, de cieux changeants et dorés, de flâneries sur le parvis. C’est le point Nord de mes errances.
Plongeant sous la canopée, je me retrouve à la Fnac, autre rendez-vous qui tient un peu du rituel – je viens glaner là des nouvelles de la tour d’ivoire francophone. Faisant un détour par l’enclave « Psychologie » je retrouve sur la table « Spiritualité » des livres de Krishnamurti. En furetant dans les rayons d’une grande librairie du Nord, j’avais découvert son livre Aux étudiants – ce que j’étais alors – et si clairement je n’avais alors pas tout compris, deux ou trois réflexions m’étaient restées. En particulier que les mots étaient susceptibles de nous cacher la réalité.
À la table « Spiritualité » était adossée la table « Psychanalyse », ce qui m’a fait penser que quelqu’un, à la Fnac, avait de l’humour; Lacan tournait le dos à Krishnamurti. L’un se défiait du langage, l’autre s’en jouait. Ces deux-là sont comme les tas de cailloux empilés qui servent de repère sur le chemin, une fois je les passe par la gauche, une autre fois par la droite, mais ils sont toujours dans le paysage, lequel me semble être aussi immutable que cette petite vallée de l’Ardèche avec sa rivière et ses maisons de pierre. Et j’y suis tout aussi nomade.
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