Les revenants de la guerre 🇺🇸 Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #257
Paula se demande si on se soucie vraiment des vétérans, ici, en Amérique.
Parfois, je feuillette le journal local au petit-déjeuner. Le plus souvent, les nouvelles me plongent dans un grand désarroi dont je ne m’extirpe que par des vitupérations qui, à défaut d’être convaincantes, me font du bien. Mais l’autre matin, bien m’en a pris car je suis partie dans un grand éclat de rire, ce qui est fort réjouissant et rare.
Dans les colonnes politiques se nichait une pépite: pour diminuer le nombre de suicides parmi les vétérans, « le grand menteur » avait conçu un nouveau plan pour réaliser de « gros, gros progrès très, très vite », ce qui serait bienvenu en année électorale. Le journal avait choisi de ne citer que trois directives, à chacun d’en tirer ses conclusions.
Securiser l’outil de travail …
La première semble parfaitement appropriée, car elle porte sur les armes à feu qui dans ce pays sont le moyen le plus utilisé par les suicidaires, quels qu’ils soient. Mais la lecture des détails douche mon optimisme. Il ne s’agit pas de règlementer la possession des armes à feu (60% des foyers en possèdent une en zone rurale et 50% en zone urbaine), mais de les sécuriser. C’est une mesure bien surprenante s’adressant à des vétérans dont les armes ont été le principal outil de travail.
La seconde évoque des programmes d’amélioration du bien-être au travail, parfaitement vagues et consensuels, encore faudrait-il que les vétérans soient en état de travailler. On estime qu’un tiers des vétérans de retour d’Irak et d’Afghanistan souffrent de troubles mentaux. Beaucoup d’entre eux utilisent les drogues ou l’alcool pour éloigner leurs démons.
La troisième est la cerise sur le gâteau: le gouvernement (ou les États?) va installer de nouvelles barrières le long des voies ferrées et sur les ponts. Ça, c’est une sacrée mesure qui va faire baisser les statistiques.
Lorsque je pense aux anciens combattants, – la traduction correcte du mot veteran (ou vet) – me viennent à l’esprit les derniers rescapés des combattants de la seconde guerre mondiale ou de la guerre d’Algérie. Je vois plutôt des vieux messieurs (peu de femmes, alors dans les rangs) auxquels on pense (ou pas) les 11 novembre. Il serait un peu plus d’un million à détenir une carte française d’ancien combattant, y compris les anciens ressortissants des ex-colonies. Au Tchad, l’an passé, lors du 14 juillet, j’ai d’ailleurs eu l’opportunité d’aller saluer quelques très vieux Tchadiens ayant revêtu l’uniforme français (d’époque?) pour l’occasion; c’était émouvant. C’est vrai, il y a quelques plus jeunes, ceux des opérations extérieures.
18 millions d’anciens combattants…
Aux États-Unis, les anciens combattants sont près de dix-huit millions (soit 7% de la population adulte). Ils sont nombreux, à la taille du pays et de son interventionnisme militaire. Ils sont plus jeunes et comprennent beaucoup plus de femmes. Parfois, ils sont à l’honneur, comme le mois passé, lors du Memorial Day (un grand moment de soldes, par ailleurs), la fête nationale du 4 juillet et le Veteran Day le 11 novembre. Souvent, ils peinent à se réintégrer. Je découvre que les suicides des vétérans sont un réel sujet de préoccupation politique et sociétale, résultant en mesures d’accompagnement accru en faveur des anciens combattants. Résultat, de 2015 à 2019, on serait passé de 22 suicides par jour à 17, mais cela résulterait plus d’une différence de mode de comptage, précise un site qui leur est consacré.
« Le grand menteur » a choisi des mesurettes avec résultats rapides et s’est bien gardé de s’attaquer aux problèmes de fond – c’est évidemment trop compliqué – ce qui voudrait dire apporter un soutien aux programmes de logements sociaux, à la formation professionnelle et à l’accès aux soins médicaux, des mesures qui sont souhaitées par des représentants de vétérans.
Et puis, il faut relativiser ce problème. Aux États-Unis, les vétérans ne sont pas les seuls à se suicider, même s’ils ont une fois et demie plus de « chance » de mourir par suicide (plus de deux fois chez les femmes) que ceux qui n’ont jamais combattu. Le taux national de suicides ne cesse d’augmenter (de 30% depuis 1999). On meurt deux fois plus de suicide que d’homicide : récession économique de 2008, dépendance aux opioïdes, maladies mentales non diagnostiquées, accès facile aux armes à feu. Un cocktail efficace.
Moins de monde…
Une bonne nouvelle pour finir : le meeting électoral dans l’Oklahoma du « grand menteur » n’a finalement pas attiré grand monde, ce qui l’a quelque peu agacé. Son équipe de campagne claironnait qu’un million de tickets d’entrée avaient été réservés en ligne. À l’arrivée, environ 6 200 places seulement sur les 19 000 du stade étaient occupées (et les espaces aménagés en extérieur pour la foultitude annoncée sont restées inemployées.
Toutefois, il semble que la raison n’en soit pas le désamour des électeurs républicains.
Ni la peur de la COVID-19 (pandémie toujours bien active mais dont la prévention est ici un gag). Ni les activistes anti-trumpistes (présents mais pas en très grand nombre) qui ont bloqué les supporters. Divers journaux écrivent que l’équipe de campagne de Trump s’est fait « rouler » dans la farine par les jeunes internautes fans de K-Pop, les boys-bands sud-coréens*. Les fans se seraient passé le mot pour pré-réserver en ligne un maximum de place pour le meeting, afin d’empêcher les vrais supporters de Trump de s’agglutiner autour des discours suprémacistes de leur leader.
Heu… ce mode d’intervention, je ne suis finalement pas certaine que ce soit une bonne nouvelle.
* Ces groupes qui se surnomment les « K-pop-Stans » connaissent par cœur les secrets des algorithmes qui font que leurs vidéos virales vont être vues par le plus grand nombre… et depuis quelques semaines ils semblent se piquer de politique américaine.
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