Paula et Judith sont dans un bateau… nommé « Marco ». À moins que ce ne soit Marco qui les mène en bateau ?
J’activais le Rolodex mental de ses nombreux amis sans retrouver la fiche: « Judith » jusqu’à ce qu’il me rappele qu’il avait pris le thé avec elle la semaine passée, et qu’elle était entrée en contact avec lui par l’entremise d’une serveuse dans sa cantine favorite, où elle travaille en cuisine.
Je connais fort bien le pouvoir d’attraction des blancs qui prennent leur repas en solitaire. Il ne manque jamais une bonne âme pour leur proposer de la compagnie. Compagnie tarifée ou plus équivoque. J’avais déjà vécu en direct une tentative d’harponnage de Marco par une « Go », un des nombreux petits noms ivoiriens des prostituées, un jour que nous discutions sur Skype. J’avais bien ri. Mais cette Judith me faisait moins rire, elle semblait plus dans la catégorie des jeunes femmes en mal d’amour ou, si elles sont plus prosaïques que romantiques, en recherche d’assurance financière, voire de visa.
Les blanches sont moins harcelées selon mon expérience. Au Nigeria, alors que mes collègues masculins étaient importunés – ou sollicités selon les points de vue, je pouvais vadrouiller seule dans le pays pour mon travail sans être abordée lors de mes soirées solitaires dans des hôtels du bout du monde. Je ne suscitais aucun coup de foudre et je ne m’en plaignais pas.
Nomades ne nomadisant pas toujours ensemble, Marco et moi avons adopté un protocole d’accord sur les relations extra-conjugales. Cet accord ne présente d’intérêt que pour les parties en présence; il suffit de savoir qu’il nous garantit une certaine sérénité. J’étais donc sereine à propos de Marco et cette « Judith ».
Mais elle, que cherchait-elle ? Je connais Marco bien assez grand pour se dépatouiller tout seul mais je lui sonnais l’alarme pour que Judith ne bâtisse pas des plans sur la comète.
Dans sa chronique suivante, il raconta Judith (Nomad’s Land # 81), son parcours et ses espoirs. Je rangeai sa fiche et cessai de m’émouvoir.
Ils continuent à se rencontrer presque chaque samedi, souvent pour prendre le thé. Parfois, elle l’accompagne faire nos courses au supermarché. Ça me surprend quelque peu, faire des courses est – à mon sens – profondément ennuyeux, et accompagner quelqu’un, même un ami, dans un magasin où l’on ne peut rien acheter faute d’en avoir les moyens, me semble pour le moins pervers – pour soi-même.
Aussi samedi dernier, je n’ai pas été surprise de recevoir un message de Marco m’annonçant qu’il revenait des courses avec Judith pour prendre le thé. J’allais enfin la rencontrer.
La pauvre n’en menait pas large à son arrivée, terrifiée d’être mise en présence de l’épouse. En Côte d’Ivoire, la situation n’est pas fréquente, ni même socialement acceptée car la suspicion est de mise quand une célibataire fréquente un homme marié (et réciproquement). Après un bon quart d’heure de discussion, Judith s’est finalement détendue quand les questions que je lui posais et les sujets abordés lui ont confirmé que Marco m’avait réellement informée de leurs entrevues, ce qu’elle ne parvenait pas à concevoir.
J’ai rapidement remisé l’expression condescendante de « La pauvre ». Certes, Judith est une femme au physique plutôt frêle, mais mentalement, elle est forte et déterminée à vivre en comptant avant tout sur elle-même. J’ai compris pourquoi Marco l’appréciait. Celle-là, on ne la prend pas pour une quiche !*
* Référence au magazine Causette et à son appel récurrent à la vigilance : « on nous prend pour des quiches ».
Tout Nomad’s land.
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