Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #141: Aujourd’hui les chiens…
Ce que Paula ne s’attendait certainement pas à trouver dans les quartiers chics ou touristiques d’Istanbul, c’était des bandes de chiens apathiques.
Je « découvre », car lors de notre séjour stambouliote, je n’ai pas vu des chats mais des chiens, beaucoup de chiens. Nos amis nous ont expliqué que dans chaque quartier, des habitants nourrissent les « chiens de rue » – appellation préférée à celle de « chiens errants », chiens que la municipalité est, elle, en charge de stériliser et vacciner. Les chiens sont alors estampillés à l’aide d’un poinçon bleu à l’oreille.
Les bandes de chiens que nous avons croisées sont nonchalantes, plutôt silencieuses et passablement indifférentes aux humains et même à leurs congénères en laisse. Malgré leur présence, je n’ai pas eu l’impression de devoir slalomer entre les crottes de chiens, comme sur les trottoirs parisiens d’un temps pas si lointain. Leurs déjections doivent être ramassées fréquemment, en tout cas dans les quartiers que nous avons visités.
Chiens et hommes semblent cohabiter sereinement. Nous les avons vus déambuler sur la place entre Hagghia Sophie et la Mosquée Bleue – imaginez des chiens déambulant sur la place des Invalides ou dans le jardin des Tuileries!
En novembre, des chiens d’Istanbul ont fait l’actualité car la municipalité d’Eyüp en a attrapé un demi-millier pour les garder dans un refuge le temps de les stériliser et de les vacciner puis de les remettre dans leur quartier d’origine. Mais des habitants plutôt méfiants les en ont parfois empêcher, et le bruit courrait sur les réseaux sociaux que près de quatre cent d’entre eux auraient été en fait lâchés en forêt, sans eau ni nourriture.
Les Stambouliotes restent traumatisés par un massacre de chiens en 1910 qui fit même l’actualité européenne, à une époque où courriers et photos circulaient encore à vitesse réduite. En fait, les chiens d’Istanbul étaient bien connus des voyageurs. Le premier guide en français de Constantinople et ses environs, écrit par Frédéric Lacroix en 1854, les prévient qu’ils auront à composer avec les chiens qui « pullulent dans tous les quartiers ». Aussi, quand le parti « Jeunes-Turcs », fraîchement arrivé aux pouvoir, a décidé de nettoyer la ville de tous les chiens errants en exportant soixante à quatre-vingt milles bêtes sur un îlot désert d’Oxia, provoquant leur mort par auto-extermination, les gens se sont émus. Si la partie musulmane de la population contestait l’abattage des chiens, d’autres réagissaient surtout sur la méthode.
La conciliation entre les droits des animaux, la circulation urbaine et la peur des citoyens a de quoi fatiguer les édiles. Parfois, les bandes de chiens en ville peuvent être terrifiantes. Je me souviens d’une marche nocturne dans une ville du Rajastan durant laquelle j’ai dû jeter des pierres en poussant des cris guerriers à quelques chiens de rue « patibulaires mais presque » (dixit Coluche). Dans la journée, ils se faisaient plus discrets, peut-être chassés par les habitants. Autre lieu, autres mœurs, des bandes de chiens arpentaient le quartier de la Medina où nous vivions à Tunis. Lorsque leur nombre devenait insupportable la police organisait des battues nocturnes et les tirait à vue.
La cohabitation hommes-animaux est un vaste sujet qui n’est pas près d’être résolu. Yuval Noah Harari rappelle dans « Homo deus, Une brève histoire de l’avenir », que « près de 200 000 loups sauvages écument encore la terre, contre plus de 400 millions de chiens domestiques ». Dans Demain les chiens, Clifford D. Simak imaginait un futur dans lequel des chiens racontaient notre disparition. Un premier chapitre à Istanbul ?
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