« La Covid-19 » et le nouveau siècle 🇺🇸 Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #250
Marco sait-il encore ce qu’il dit? Ces temps incertains lui font-ils perdre la boule?
Le Covid-19 ou la Covid-19? C’est une petite question agaçante, un peu comme celle que se pose le capitaine Haddock dans son lit, dans l’album des aventures de Tintin Coke en stock: faut-il dormir la barbe au-dessus, ou en dessous des couvertures? Il n’y a pas plus de réponse à ce dilemme qu’il n’y a de réponse à la question « le ou la COVID »? Même l’Organisation mondiale de la santé n’a rien décrété là-dessus. Donc, j’ai pris le parti de parler de la Covid-19 puisque, disent les partisans de cette appellation, on parle de la maladie à coronavirus 2019, qui est, elle, déclenchée par le (corona)virus SARS-CoV-2 … Et puis, la Covid-19, c’est un nom qui vous a une allure de coupé cabriolet chic des années soixante, et donc quoi de mieux pour introduire un nouveau siècle que cet acronyme féminin?
La Covid-19, dont personne ne peut deviner la trajectoire, marque le vrai démarrage du 21ème siècle, de la même manière que la première guerre mondiale a introduit le 20ème siècle et ses folies nationalistes et génocidaires. Wuhan sera notre Sarajevo et son marché de produits frais l’attentat contre l’archiduc François-Ferdinand. Il y aura un monde d’avant la Covid et un monde d’après la Covid, comme il y eut un avant et un après Sarajevo (ces dates sont seulement des marqueurs pour ces moments où les longues tendances historiques se mettent à vibrer plus fort puis soudain bifurquent ou se défont).
Les bouleversements parfois tardent à se clore. Certains pensent que la première guerre mondiale s’est terminée un 11 novembre 1918, mais je dirais que la Grande guerre s’est en réalité terminée le 9 novembre 1989, avec la chute du mur de Berlin et l’écroulement de l’empire bolchevique. Et si je continue à jouer le matamore de la métaphore, je vais finir par dire qu’un monde d’après la Covid pourrait être fort loin…
Et notre monde de la Covid-19, celui qui vient tout de suite, dans les prochains mois, dans les prochaines années, à quoi va-t-il ressembler? Personne ne sait. En septembre 1914, le trouffion français de base – qui était en réalité un breton, un provençal, un ardennais, etc., – s’imaginait, tout comme ses officiers – bien français eux, puisque nécessairement passés par l’école républicaine – que ce serait une promenade de santé et qu’il serait de retour chez lui pour la Noël. Las, quatre ans plus tard, le monde était méconnaissable, et notre trouffion était sans doute enterré quelque part dans la Marne (et son officier, lui, avait perdu un bras, sinon la tête).
Notre instinct le plus fort, c’est de penser que dans quelques semaines, ou quelques mois, la vie reprendra comme avant. Et pourquoi pas? Après tout, des crises, nous en avons déjà connues, et nous en sommes sortis sans trop de casse et sans véritables changements – c’est l’une de nos erreurs, il ne faut jamais gaspiller une bonne crise, qui est ce rare moment où deux ou trois choses peuvent être transformées. Dans les confins de nos mémoires, on trouve donc le Black Monday de 1987 (quand mon projet de magazine se prit une torpille de plein fouet, mais je repartis comme si de rien n’était), le dot.com bubble (l’éclatement de la bulle internet) en 2000 – 2002, puis la crise des sub-primes de 2007-2010. À chaque fois c’est le retour au statu quo ante bellum – les banques après 2010 sont les copies conformes des banques ante 2007, ce qui, au regard de leurs dysfonctions ante-crise, paraît parfaitement hallucinant.
Un exemple a contrario, c’est la crise de 1929, qui ravagea les économies à travers le monde et dont, jusqu’à aujourd’hui, on entend parler. Plus d’une fois des Américains, qui évoquaient avec moi leurs tribulations, décrivirent la manière dont leurs parents avaient été modelés par la Grande dépression, et comment cette crise avait, par ricochet, façonné leurs propres vies.
Donc, pour revenir au sujet, nous savons fort peu de chose sur la belle Covid-19, ses coquetteries, ses plans, ses armes secrètes, ou ses faiblesses cachées. Nous ne savons pas ce qu’elle va faire de nous. Nous ne savons pas quels pas nous allons danser dans ses bras, mais il est clair qu’elle va ouvrir des portes, ou des trappes, que nous ne soupçonnons pas.
Voici pourtant deux idées sur le nouveau siècle. Le montant de dettes que les gouvernements vont encourir va dépasser de beaucoup le niveau d’endettement que le monde avait atteint au sortir de la Seconde guerre mondiale, et il faudra payer ces dettes, d’une manière ou d’une autre, avec de l’hyper-inflation comme la République de Weimar et les chemises brunes qui lui emboîtèrent le pas, ou avec des impôts, qui pourraient retrouver aux États-Unis leur niveau d’immédiate après-guerre, quand le taux marginal maximum d’imposition sur le revenu atteignait 94 % *.
La fragilité nous revient – nous venons de constater que notre système peut être bousculé par un microbe, et que ce qui touchait Wuhan un jour – une ville dont personne n’avait vraiment entendu parler – pouvait toucher le reste du monde le temps d’une quinte de toux. Les signes du déséquilibre écologique sont là depuis longtemps, mais ils ne touchent qu’une région à la fois, un moment à la fois : des inondations d’une ampleur inconnue au Bangladesh, des feux de forêt en Californie, des ouragans qui ravagent Porto-Rico, les océans qui se couvrent de déchets plastiques, etc… Mais ce n’est pas maintenant, et ce n’est pas dans mon voisinage, donc… Mais avec la Covid, ce jeu d’évitement ne fonctionne plus: aujourd’hui, c’est ici, dans mon quartier, et pour combien de temps encore? Notre belle assurance va se lézarder comme une vieille façade.
Vous allez me dire que cette chronique est partie dans tous les sens, manque de cohérence et n’aboutit à rien; c’est précisément ce à quoi notre pensée va ressembler dans les mois et les années à avenir, des idées qui vont dans tous les sens et dont la perspective nous échappe.
*Pour en savoir plus lisez Piketty ou, pour un argument beaucoup plus court, cet article.
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