Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #63 : Tranches de mort, tranches de vie…
C’est la fête, la voisine est morte ! Chronique d’une semaine de vie quotidienne, sous l’oeil un peu agacé de Marco.
Mercredi 27 Avril – De grandes tentes blanches se dressent dans la concession voisine, la maison se festonne, et une clique de policiers armés tuent le temps comme ils peuvent.
Jeudi 28 Avril, au soir – Comme nous nous couchons s’élèvent de chez la voisine des chants plaintifs lancés à un niveau de décibels qui me fait me demander, dans un demi-sommeil, si la famille n’est pas en train d’essayer de réveiller la vieille avec de la sorcellerie moderne. Paula, qui a le sommeil fort léger, en est fort agacée mais patiente un peu, puis sort dans la rue et va expliquer aux voisins que leurs voisins – nous, donc – allons devoir assumer une journée de travail le lendemain et que le manque de sommeil risque de nous rendre improductifs. L’argument, parfaitement improbable dans ce pays, fait son chemin et les policiers, qui voulaient sans doute s’empêcher de dormir, mettent un terme au tintamarre.
Vendredi 29 Avril – En rentrant en début d’après-midi, je vois un corbillard avec gyrophares en action s’éloigner. On a ramené le corps. Un portrait trône au dessus d’une petite foule. Des tentes ont maintenant été dressées jusque dans la rue, et un générateur monté sur plateau a été amarré le long du mur de la propriété. Tout cela n’augure rien de bon. En milieu d’après-midi, la musique se déverse à flots généreux : que la fête commence ! Tard dans la soirée, nous nous équipons de boules Quies, et Paula ne renouvelle pas son expérience de la veille – demain, c’est samedi, et l’argument du travailleur épuisé ne tient plus.
Samedi 30 Avril, trop tôt le matin – La kermesse reprend, et c’est tout un répertoire musical parfaitement hétéroclite dans lequel nous ne reconnaissons rien qui accompagne les cérémonies d’à côté et notre « grand nettoyage » de la semaine. Paula va jusqu’à regretter que les voisins affligés ne jouent pas plutôt le Miserere d’Allegri en boucle. Dans l’après-midi, je sors faire une course dans le quartier, et vois la foule des danseuses se faire suer sur des airs de rumba. Beaucoup de participantes portent des vêtements coupés dans le même tissu avec des motifs bleus et oranges assez festifs – ce qui me fait penser à la coutume des tartans écossais. Clairement, notre voisine sait se faire regretter.
Ces extravagances funéraires sont un phénomène kinois. J’en parlais avec Thom, qui vient de l’est du Congo.
Là-bas, tu meures le matin, tu es enterré l’après-midi. Voilà une bonne coutume.
Thom
Lundi 2 mai – Paula reste à la maison, car la journée est fériée en hommage au 1er mai qui, étant malencontreusement tombé un dimanche, n’a pas pu être chômé. J’ai perçu l’incongruité de la pratique aux réactions étonnées de nos amis parisiens. Peut-être pour cette même raison le courant s’étiole dans la torpeur du début d’après-midi, et la connexion internet qui passe par mon téléphone cesse de fonctionner. A 16 heures, nous n’avons toujours pas bu de café et nous avons épuisé les batteries de nos ordinateurs – il ne nous reste plus qu’à faire une sieste. Après la sieste, toujours pas de courant et le jour tombe, avec la perspective d’une courte soirée à côté de notre lampe solaire de camping, d’un dîner froid (enfin, froid, c’est une manière de dire) et d’une bière qui aura comme un souvenir de fraîcheur.
Paula, qui n’est pas fille d’électriciens pour rien, remarque qu’il y a du courant un peu partout dans le quartier, sauf chez nous. Et la voilà partie explorer notre concession, pour voir si un voisin pourrait avoir une explication à cette anomalie, et elle tombe sur une petite congrégation de propriétaires réunis dans le noir – en fait, ils sont deux avec trois chaises, notre propriétaire ayant décidé d’oublier qu’il y avait cette réunion où l’on parlerait de frais divers à partager. Elle m’en prévient, et je vais m’asseoir dans la chaise vide. Il aurait fallu une quatrième chaise, mais nos comparses n’arrivent pas à joindre la quatrième propriétaire, qui vit en Belgique.
Commence alors un palabre d’une heure sous les palmiers. J’apprends qu’avant cet immeuble, il y avait une paillote dans laquelle Mobutu venait s’asseoir pour contempler le fleuve. Que le propriétaire précédent était très fier que son bâtiment soit classé comme usine, mais qu’il n’avait pas calculé que le forfait électrique qu’il payait était aussi celui d’une usine. D’ailleurs, si j’ai bien compris, il ne le payait pas vraiment, ou pas tout le temps, et il y a un arriéré de 18,000 dollars avec la SNEL. Bien sûr, il n’y a pas de compteur électrique, ni pour le bâtiment ni pour les appartements. Et comme les factures ont eu tendance à ne pas être payées, la SNEL a régulièrement augmenté le forfait. Toutefois, comme dans une bonne pièce de boulevard, un espoir point : André, nouveau propriétaire, a des relations dans les hautes sphères de la SNEL, et il a entamé des discussions il y a plusieurs mois. Mais – rebondissement – comme les propriétaires n’arrivent pas à se retrouver pour convenir d’une stratégie, une coupure de service menace. Et les coupures, ici, sont radicales ; les employés de la SNEL arrachent les câbles d’alimentation du bâtiment. On en apprend des choses, dans la chaise vide d’un propriétaire.
Arrive la scène du dénouement final. La femme qui habite l’appartement en dessous de chez nous a, elle aussi, remarqué qu’il y a de l’électricité partout sauf dans notre concession. Elle a pris son téléphone et appelé un électricien. Paula descend nous rejoindre alors qu’il vient d’arriver et nous voyons ce petit groupe s’agiter près d’une porte. Lumières. Chute du rideau. Chacun rentre chez soi. Chic, on va pouvoir manger des pommes de terre au four.
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