Saxophoniste, chanteur, acteur, ce musicien refuse d’être catalogué évoluant aussi bien dans le domaine du rock que du jazz où il excelle. Invité doublement du festival Banlieues Bleues: au sein du « Red Star Orchestra » et avec son propre groupe le « Thomas de Pourquery Supersonic » consacré au répertoire de Sun Ra.
Si le jazz, ça consiste à interpréter des standards, je ne vois pas ce qui m’empêcherait de jouer Sun Ra.
Thomas Pourquery
Voilà qui est clair. Assis à la terrasse d’un café place du Marché à Montreuil devant un thé à la menthe, il énonce de façon particulièrement directe ce qui l’a conduit à se consacrer à la musique d’un des compositeurs parmi les plus excentriques de l’histoire du jazz. Le genre de compositeur justement auquel on n’associe pas spontanément la notion de standard tant il s’est acharné à bousculer les repères et autres structures en vigueur et à explorer tous les styles en y ajoutant un goût prononcé de la mise en scène et du décorum; au point de faire de ses concerts des cérémoniaux hallucinés et quelque peu déjantés dans un esprit dada.
Né Hermann Poole Blount en 1914, il changea son nom dans les années 1940 après un séjour en prison puis en camp de travail pour avoir refusé de servir dans l’armée choisissant de s’appeler désormais Le Sony’r Ra avec pour nom de scène Sun Ra. En mettant sur pied Supersonic, sextet consacré à la musique de Sun Ra, Thomas de Pourquery n’a pas tant cherché à rendre hommage à l’auteur de Space is the Place et encore moins à l’imiter – pas de mise en scène ni de déguisements, mais tout de même un enthousiasme communicatif – qu’à donner sa propre version de compositions qui depuis longtemps lui sont chères.
« Ce qui m’intéresse avant tout chez lui c’est le compositeur, qui malgré sa notoriété est en réalité très peu joué. Tous les morceaux qu’on interprète avec Supersonic sont des chefs d’œuvre d’écriture. Sun Ra est inclassable, ce qui explique peut-être son rayonnement aujourd’hui encore au-delà du jazz, un groupe de rock comme Sonic Youth le revendiquent par exemple. Pianiste, jouant de toutes sortes de claviers, c’est un pionnier du synthétiseur. Il a touché à tout, chorégraphie, chanson, films, poésie… Il disait : «Ma Musique fait peur aux gens. Elle représente le bonheur et ils n’en ont pas l’habitude». Je l’ai découvert progressivement, sa discographie est pléthorique. Enfant, paraît-il, ma mère me susurrait ses mélodies. »
Victoire du jazz
C’est en 2011 à l’occasion d’une résidence à la Dynamo de Banlieues bleues qu’est né Supersonic. Saxophoniste, chanteur, Thomas de Pourquery caresse le rêve impossible de monter un grand orchestre. Il considère de fait Supersonic – où il est entouré de Fabrice Theuillon, Frédéric Galiay, Fabrice Martinez, Arnaud Roulin et Edward Perraud – comme un mini big band. En 2014 sort Thomas de Pourquery Supersonic Play Sun Ra, le disque particulièrement réussi est récompensé d’une Victoire du Jazz, ce qui vaut au groupe de multiplier les tournées.
« On joue beaucoup. On est très demandés. Donc le groupe continue », se réjouit Thomas de Pourquery. La situation n’est pas si courante dans un milieu où les projets ont souvent une vie éphémère. De fait Supersonic est une formation emblématique, représentative d’une génération de jazzmen qui, pour être née dans les années 1970, n’en a pas moins embrassé avec enthousiasme une musique que beaucoup considéraient comme démodée. Pourquery découvre le jazz en fouillant dans la collection de disques de ses parents. Il écoute Stan Getz, Miles Davis, Charlie Parker, Serge Gainsbourg, Claude Nougaro…
À quatorze ans, il veut jouer de la trompette. « Au moment de l’acheter, il n’y en avait plus dans le magasin. Alors mes parents m’ont offert un saxophone. » Avec son gabarit imposant, son crâne dégarni et sa barbe de viking, on l’aurait plutôt imaginé faire ses armes à la guitare dans un groupe de métal. Mais non. À 17ans, un concert de Stefano Di Battista décide de sa carrière. « Il jouait des standards, c’était fabuleux. J’ai compris que ça serait ma vie. » Il deviendra son élève.
Il passera aussi beaucoup de temps au début des années 2000 à jouer, nuit après nuit, aux Falaises, un squat de Montmartre. Il y rencontre, entre autres, Laurent Bardaine, Philippe Gleize, Maxime Delpierre… toute une nébuleuse dont de nombreux enregistrements paraissent à l’époque sur le label Chief Inspector. Parmi ses musiciens favoris, plus que Sun Ra, c’est Cannonbal Adderley, Charlie Parker ou John Coltrane que Thomas de Pourquery cite en priorité.
Mais son centre de gravité ne se résume pas au seul jazz, en témoignent ses incursions du côté du rock avec Rigolus et aujourd’hui VKNG (prononcez viking) où, en compagnie de Maxime Delpierre à la guitare, le saxophoniste cède le pas au chanteur.
« VKNG, c’est de la pop, quelque chose entre Marvin Gaye et LCD Soundsystem. En fait je n’ai jamais pu m’enfermer dans un genre ou un style. Je fuis les chapelles. Je refuse d’être catalogué. J’ai des souvenirs inoubliables de concerts des Flaming Lips ou de Prince. Je ne crois pas aux cases, aux classifications. Les albums To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar et Blackstar de David Bowie doivent beaucoup au jazz, par exemple. Pour moi il y a autant de styles que de groupes. Je pourrais facilement imaginer un festival où l’on alternerait aussi bien du jazz, que du trash metal ou du Bach. »
VKNG – Mary:
Non content de jouer sa propre musique, Thomas de Pourquery fait aussi régulièrement l’acteur dans des films signés Jean-Christophe Meurisse du collectif Les Chiens de Navarre ou Antonin Peretjatko avec qui il a tourné La Fille du 14 juillet (2013) et son tout dernier La loi de la jungle. « J’aime bien tourner, même si je ne me vois pas faire ça toute ma vie. Mais c’est une expérience qui nourrit aussi mon travail. Quand on est acteur, c’est un peu comme si on était l’instrument de musique dont joue le réalisateur. Cela pose la question de la vérité du jeu, qui est aussi très importante pour un musicien. Quand on joue de la musique le plus difficile est de se débarrasser de tout qu’on a appris pour ne laisser venir que son propre chant intérieur. Là je parle du Graal. Mais c’est vraiment vers ça qu’il faut tendre. »
Du chanteur à l’acteur et au crooner, il n’y a qu’un pas. Ainsi c’est ce même éclectisme bon enfant qui a conduit Thomas de Pourquery à chanter au sein du Red Star Orchestra, formation conséquente que dirige le poly-instrumentiste et arrangeur Johane Myran. « Lui aussi vient des Falaises. Il m’a demandé si je voulais faire quelque chose avec le Red Star Orchestra. Je lui ai proposé de chanter des standards et c’est parti comme ça. » Ensemble ils enregistrent Broad Ways, album sorti en 2015 qu’ils interprétaient en ouverture de la 33e édition du festival Banlieue bleues qui accueille aussi Supersonic.
Deux façons différentes d’envisager les standards.
Thomas de Pourquery Supersonic le 24 mars à la Dynamo de Banlieues Bleues, Pantin (93)
Thomas de Pourquery Supersonic Play Sun Ra (Quark/L’Autre Distribution)
Red Star Orchestra Featuring Thomas de Pourquery « Broad Way » (Label Bleu/L’Autre Distribution)
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