En seulement deux disques, le jeune saxophoniste Baptiste Herbin a attiré tous les regards des amoureux du jazz. Personnalité solaire, son ample et puissant, virtuosité ébouriffante : le jeune homme a tout d’un phénomène. Il était en concert cette semaine au Bal Blomet, nouvelle salle parisienne dans le quinzième arrondissement et nouvelle adresse pour les amoureux du jazz.
Pour être prévenu, il suffit d’écouter ce que dit de lui le vénérable André Ceccarelli :
Baptiste, il a tout. C’est dingue, tout! Le son, le phrasé, la musicalité, le groove…. C’est un phénomène.
Toujours écouter ce que les musiciens disent des autres musiciens. Carrure de troisième ligne, sourire hollywoodien, et cette petite intensité très étrange du regard qui dit une force, une douce insolence et une intelligence facétieuse. Herbin semble d’un bloc. Herbin sent par tous ses pores la joie d’être là, vivant et maître de son art, sur scène, en bonne compagnie (Pierre de Bethmann au piano, subtil et tendre, André Cecarelli, qui jubile à la batterie, Géraud Portal, fidèle contrebasse).
Ce qui m’a le plus fasciné de ce concert? La respiration de Herbin. Il faut l’observer de prés. Elle dit tout de son talent et de son mystère unique.
Le Bal Blomet est une nouvelle salle à Paris, dans le sage quartier du quinzième arrondissement, peu habitué aux envolées du bebop. Bel espace sur deux étages, et un confort d’écoute incontestable font de cette salle une nouvelle adresse à cocher sur les agendas des mélomanes.
Q: Des parents musiciens?
Baptiste Herbin: Mes parents écoutaient beaucoup de musique sans être musiciens. Mon père, c’était plutôt Pink Floyd, ma mère plutôt la musique noire américaine, genre James Brown. Avec mon frère qui est maintenant accordeur de piano, on a grandi dans la musique, entourés de musique. Et quoi de mieux pour découvrir les instruments que Picolo, Saxo & Compagnie d’André Pop? Je devais avoir quatre ans, et j’ai aussitôt craqué pour le saxo alto. Et j’ai dit : « maman, je veux faire ça! » J’ai commencé le sax alto à onze (difficile de commencer avant pour des raisons morphologiques). J’ai eu très vite la tentation de passer au ténor, jusqu’à ce qu’un jour, à la télé, je tombe sur Maceo Parker. Et là, je me souviens avoir dit à ma mère : « Laisse tomber maman… » Et je suis resté à l’alto. Après, très vite, j’ai découvert Charlie Parker, en passant par Groover Washington, et sans éviter la pop ou la funk, ou Hank Crawford. En fait, je crois que j’écoutais de tout, même du free, Ornette Coleman, Éric Dolphy, Arthur Blyth. Un musicien, j’aime bien cette expression, « buvardise« . On s’imprègne. J’ai beaucoup écouté
Q: Les rencontres?
BH: Andre Ceccarelli m’a beaucoup guidé, aidé. C’est lui qui m’a lancé dans le métier. Après, j’ai rencontré Aldo Romano, un autre grand batteur. En fait l’un et l’autre étaient complémentaires
Q : Tes inspirations?
BH: Cannonball Adderley et Charly Parker au début. Cannonball a eu une carrière plus longue mais Parker, faut pas l’oublier, c’est le père fondateur. Ils sont impossibles à comparer. Mais tenez, pour moi, y’a ce magnifique album, « Cannonball in Rio, Sextet ». On voit qu’il a amené plein de musiciens vers d’autres esthétiques, la samba, la pop, la funk et même le free, et j’ai donc passé beaucoup de temps à l’écouter. Actuellement j’écoute toujours beaucoup de choses, mais pas forcément des choses « saxophonistiques« . Ça peut être du Messiaen, du Debussy, ou les musiques actuelles. Et tout ça sans oublier les anciens. Je me remets actuellement à écouter Sydney Bechet et Brel.
Q: Interférences, c’est votre nouveau bébé?
BH: Je voulais créer un quintet avec guitare et sans piano. Y’a même un morceau avec deux batteries. Je voulais faire rencontrer dans ce disque des générations, des styles et beaucoup d’écritures différentes.
Q: Quand dans le milieu on parle de vous, on parle tout de suite de votre son.
BH: Le son, c’est comme apprendre à parler ou à écrire pour un enfant. On copie d’abord les parents, puis nos meilleurs amis, nos proches. Au début, on est presque obligés de copier. Quand on entend Coltrane, c’est très influencé par Sonny Stitt, par exemple. Cannonball, au début, c’est beaucoup Benny Carter. Johnny Hodges, c’est Sydney Bechet. Quand on commence, on veut presque tous copier et imiter. À partir de là, on trouve notre propre son. On essaye de faire une composition avec tous ces sons et tous ces langages. J’essaye d’incorporer tout ça dans mon jeu, de le « buvardiser « comme je disais, de le digérer, et que ça finisse par sonner comme du Baptiste Herbin. Depuis 2 ou 3 ans, je commence à avoir un son vraiment à moi, personnel. On trouve son langage, sa propre articulation. Après le son évolue en fonction du temps.
Q: Quels sont vos projets?
BH: Je viens de faire un disque avec Ali Jackson, à la batterie. Encore un projet où ça mixe toutes les musiques, le soul, la musique brésilienne. L’album sortira en février.
Q: J’ai remarqué que vous jouiez avec les yeux ouverts, qu’est-ce que vous regardez?
BH: C’est une bonne question ça! En fait, avant, je jouais un peu les yeux fermés, mais j’avais l’impression d’un peu trop m’intérioriser, de trop m’isoler des autres musiciens, En fait, quand je joue, je regarde juste un point fixe devant moi, mon regard est un peu dans le vide, je ne vois pas les lignes de musique – mes yeux pourraient être fermés – mais ce que je préfère maintenant c’est garder cet éveil pour regarder les autres musiciens, et ça c’est très important pour pouvoir, comme on dit en portugais, brincar, c’est-à-dire s’amuser. Avoir le regard d’André et se dire, ouais, là il y a un sourire, il y a un regard, ça pétille, qu’est-ce qu’il se passe musicalement? Peut-être dans les ballades je peux être amené à jouer les yeux plus fermés, et quand on voit Chris Potter qui regarde fixement au fond de la salle. Dexter qui ferme les yeux, et Cannonball… En fait c’est totalement instinctif, le corps réagit en fonction de la musique.
Paris, 9 novembre 2017
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