Chaque année, le printemps, pour les oreilles, vient de la banlieue. « Banlieues Bleues » est plus qu’un rendez-vous, c’est une promesse. Promesse de découvertes, promesse de dépaysements, promesse, malgré le vacarme qui règne dans le monde, d’entendre la musique que font les musiciens, pas les comptables, ni les marketeurs.
Le guide que nous avons choisi: Le guitariste hongrois Csaba Palotaï.
Mais si le Jazz est bien le lien constitutif et l’identité de ce festival, c’est d’un Jazz buisssonnier qu’il s’agit ici, un Jazz qui saute les frontières et s’en moque, un Jazz voyageant de pays musicaux en paysages sonores, du Rap au Funana, de la Batida, Rumba, Free, funk, Hip-Hop et autres cocktails réjouissants et improbables, aux expérimentations les plus audacieuses. Sans oublier une politique tarifaire extrêmement abordable qui dit tout de la volonté politique et sociétale des organisateurs.
Dès le concert d’ouverture le ton est donné, ou plutôt le « beat », avec le mythique Tony Allen, sorcier historique de l’Afrobeat qui rend hommage à l’un des grands anciens de l’instrument, le volcanique sorcier Art Blakey, témoin-acteur de la grande révolution Bebop. Tous les batteurs, on le sait, doivent beaucoup au grand Blakey. Tony Allen paye ses dettes à Saint-Ouen, vendredi 3mars. C’est tout!
Le programme du festival Banlieues Bleues resssemble parfois à un inventaire à la Prévert: De la transe et des voix hypnotiques, des empêcheurs de jouer en rond, des magnétiseurs-guérisseurs, des alchimistes, et des souffleurs habités. Y’en a pour tous les fous, pour tous les goûts. Face à ce programme luxuriant difficile de faire un choix. Et puis, puisque tout choix est forcement subjectif, sentimental et parfois irrationnel, pourquoi ne pas vous dire les concerts où j’ai dejà choisi d’aller? La liste serait sûrement differente demain, mais lançons nous!
André Minvielle, poéte vocalchimiste béarnais à Stains le 11 mars, obligatoire, Toumani Diabate, le maître malien de la kora à Gonesse le 21 mars, immanquable! mais aussi le concert très attendu du guitariste hongrois Csaba Palotaï le 30 mars.
Csaba Palotaï, guitariste et compositeur hongrois voyage du free-jazz à la musique de l’Europe de l’Est avec un bon goût constant, et une audace que rien ne semble pouvoir faire trembler. Compagnon de route de John Zorn tout comme d’Emily Loizeau, Palotaï a le talent des rencontres fertiles et improbables.
Csaba Palotaï nous a reçu chez lui pour nous parler de son spectaculaire projet Manivelle, qu’il donnera à voir et à entendre dans le cadre du festival 2017 le 30 mars prochain. Et c’est lui qui en parle le mieux:
Il s’agit de jouer de la musique dans des images projetées. Ça c’est l’idée. « Manivelle » est né il y a trois ans. Joseph Lavandier, mon acolyte et mon complice sur ce projet est avant tout un ingénieur du son, collectionneur, et surtout farfouilleur de vieilles bobines de films; pour ce spectacle, nous avons décidé d’utiliser des pellicules 36mm que nous découpons en trois. C’est plus costaud que le Super 8. Au début on s’est demandé comment jouer avec le bruit que fait le projecteur « Pathé-Baby » de 1922 que nous utilisons. Puis plutôt que de le cacher, nous avons choisi de l’intégrer à ma musique, de l’orchestrer. Les bobines de film que nous utilisons datent des années vingt/trente. Nous utilisons des films de toutes sortes, des exploits humains, de la danse, des exploits techniques, du cirque, beaucoup d’artistes, bref, tout ce qui raconte et montre une époque: l’avant-guerre. Ce spectacle est un peu, pour moi, une traversée de cette époque convulsive entre les deux guerres. Et puis, en jouant dans ces images, je me pose LA question qui me hante?
Comment se fait-il qu’aucun artiste, ou presque, n’ait vu venir Staline, Hitler, ou encore Mussolini?
Comment peut-on expliquer l’impuissance ou l’aveuglement des artistes à ces époques-là? « Manivelle » est aussi plein de cette interrogation. Je la trouve plutôt d’actualité n’est-ce-pas ?
Il y a un truc marrant. Au début, quand nous avons commencé à travailler face aux images, j’ai d’abord joué quelque chose qui relèverait des origines du jazz, un peu comme un « proto-jazz » des années 30. L’origine du jazz: j’adore cette époque, peut-être celle que je préfère dans le jazz (rires) mais en évoluant, je me suis retrouvé à jouer une musique proche du rock bruitiste, avec une sonorité dure. Mais ce qui est étrange, c’est qu’à la fin, je suis revenu sans vraiment m’en apercevoir, vers une musique très simple, très épurée. Un retour au début finalement.
Et quand, comme pour conclure, et mieux le connaître on demande à l’artiste son parcours, son pedigree, ses goûts, il répond:
Tout au départ, dans mon enfance, j’aimais le rock, des trucs comme Led Zeppelin ou Deep Purple, mon premier concert. J’ai commencé à m’intéresser au jazz à l’âge de treize ans. J’ai été un grand fan de Monk bien sûr, et d’Errol Garner. Mais c’est surtout le grand guitariste hongrois Gabor Gado qui a été déterminant dans ma formation. A 18 ans, je portais son ampli quand il allait à ses concerts, et je restais des heures à côté de lui à l’écouter. C’est un guitariste magnifique. C’est lui qui m’a ouvert l’oreille à d’autres mondes, d’autres univers sonores, comme Fred Frith par exemple. Mais je ne voudrai pas oublier mon époque Wes Montgomery. J’adore tout chez lui, son son, son phrasé, son jeu, c’est pour moi la référence.
Csaba Palotaï, mars 2017
Comme un cadeau inattendu, juste pour les ami(e)s de Des Mots de minuit, Csaba nous a offert ce pur petit instant musical, subtil et mystérieux, solitaire et solaire, comme pour mieux nous donner rendez-vous à son concert du 30 mars dans le cadre de « Banlieues Bleues ».
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