La chronique familiale sucrée-salée chez des bobos haut de gamme débouche sur le délitement en cours de l’entité européenne. Une tragi-comédie à l’italienne réalisé par un polonais.
Imaginons, comme le propose cette astucieuse parabole de Jacek Borcuch, que Maria Linde est une poétesse polonaise exilée dans un gros bourg côtier de Toscane (Le Lubéron italien) où elle a rencontré son mari. Fille de deux rescapés de l’holocauste, elle est née en 1955 dans une Pologne alors sous la dictature communiste. Aujourd’hui elle ressemble furieusement à Marianne Faithfull dont on imagine un caractère peu éloigné du sien: une excentrique qui roule en Porsche décapotable, tendance libertaire et… libertine puisque, sans vraiment s’en cacher, Maria entretient une liaison avec Nazeer, un restaurateur de plage d’origine égyptienne. Doublement indécente, cette infidélité avec un homme qui n’a pas la moitié de son âge et qui, dans le coin, est couramment qualifié d’arabe.
Ce soir, on fête l’anniversaire de la belle dame, d’autant plus chaleureusement, qu’elle vient de se voir décerner le Prix Nobel de Littérature. La famille et les amis sont là, même le commissaire de police local qui ne dédaigne pas tirer sur un joint qui circule. Un entre soi d’un gratin.
Le Prix lui est remis au lendemain d’un terrible attentat à Rome. Prenant la parole lors de la cérémonie, elle scandalise en déclarant que cet attentat est « une puissante œuvre d’art » expliquant que « les artistes ont toujours été fascinés par la mort« . Consternation dans la famille, condamnation dans le pays. Le restaurant de Nazeer est incendié. Ce ne sera pas tout. Prisonnière de ses propos, de son indépendance et de ses provocations, se pourrait-il qu’elle se retrouve enfermée dans une cage artistique?
Confort des élites, inquiétudes des peuples
Le projet dépasse la chronique familiale dont on se serait contentés tant elle est sympathique dans sa forme grinçante. Il va également au-delà du portrait réussi d’une femme complexe, excessive, contradictoire mais en fait fragile. Le filigrane politique devient central, au travers des microcosmes d’une famille qui se divise dans la ouate et d’un bourg ordinairement populiste, ce populisme qui se répand dans la « famille » européenne menaçant de la fracturer. Les élites badinent dans leur actuel confort, le peuple se décourage et s’inquiète, instrumentalisé par des formations politiques parfois de clowns recyclés qui crient à l’insécurité, notamment celle que généreraient les migrants, et à l’abolition des privilèges.
Ainsi, l’Europe, qui s’était imaginée pour consolider la Paix, se désagrège.
Jolie réussite que de suggérer ce triste constat dans ce qui ressemble à une comédie, certes désabusée mais sans invectives.
Un soir en Toscane – Jacek BORCUCH (Pologne) – 1h36
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