Un film de Maddin se reconnait dès la première seconde. Virtuosité et fantaisie, son dernier opus est l’un des plus fascinants.
Angoisse à bord du sous-marin: sa charge explosive risque de péter. Seule solution pour s’en préserver, ne pas changer la pression extérieure, tout relâchement sur la coque serait fatal. Donc ne surtout pas imaginer remonter à la surface. Soudain, alors que l’équipage suant s’interroge sur ce dilemme véritablement impossible, débarque dans le bâtiment Cesare, un bûcheron, oui un bûcheron. On ne sait comment ni pourquoi, qu’importe, on est bel est bien dans les rêves cinématographiques de Guy Maddin. Cesare, lui, explique: il était dans une forêt en train d’échafauder avec quelques autres un plan pour aller délivrer Margot, sa bien-aimée retenue dans une caverne par de féroces sauvages. A l’image, on voit en effet qu’ils sont féroces: ayant réussi à s’introduire dans leur antre, il est soumis à des tests épouvantables pour prouver sa loyauté: claquer des doigts, empiler de la tripaille, soulever une pierre avec son sexe… De son côté, à 2000 lieues sous les mers, le capitaine du sous-marin s’est retranché dans son carré, Margot ne serait-elle pas sa fille? On le saura peut-être à la fin du film. En attendant, on aura contemplé toutes sortes de tableaux surréalistes, croisé d’improbables personnages, ceux qui hantent les contes, les romans d’anticipation ou les soap-operas, dans une incohérence narrative revendiquée et planante.
Prenez par exemple cet obsédé des fesses qui pour tenter de se libérer de son addiction se fait lobotomiser, ou encore cette jolie femme qui accidentellement se casse 47 os, son chirurgien qui a juré de tous les réparer en tombe amoureux. C’est un délire mais il est superbement organisé et mis en couleurs, délire et délice, l’anarchie visuelle a une logique, celle d’interroger, défier les logiques habituelles.
La chambre interdite est un summum de ce que seul le cinéma peut faire. Essayer d’en détailler l’histoire serait aussi vain que de tenter de raconter un rêve, entre merveilleux et cauchemar, il manquerait trop de détails, trop de sons, trop d’images, trop de nuances.
Le feu d’artifice dure deux heures, aucun répit, pas de relâchement, des centaines, des milliers de plans travaillés un à un, autant de décors, d’accessoires, d’effet spéciaux. Pour Maddin et Johnson, l’image n’est qu’un outil, la travailler, l’habiller, la dégrader pour la sublimer en mélangeant les genres, de la science-fiction au western, en passant par la comédie romantique ou le film noir. Le muet est depuis toujours la référence plastique de Maddin, donc Murnau, Lang et quelques autres qui transportaient sans l’aide des dialogues, mais il pioche aussi chez John Ford, Hitchcock et tous ceux qui ont usé du cinéma pour le célébrer. Son univers visuel est tout autant imprégné de Rahan que de Gustave Doré, faire se rencontrer les oppositions avec autant de bonheur est plutôt rare.
ED Distribution a distribué et souvent édité en DVD les films de Guy Maddin sortis en France. Voir le catalogue.
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