L’Estonie est généralement pour nous un pays lointain, pourtant géographiquement très proche. Saareema est plus loin, plus originale encore puisque c’est une île estonienne. C’est dans ses paysages inconnus où il a passé son enfance qu’Ilmar Raag situe une incorrecte histoire d’amour.
Kertu, c’est son nom, 30 ans. Est-elle simple d’esprit, retardée ou condamnée à une grande timidité? Son père qui a réussi dans le commerce du bois est un parvenu rustre qui tient à sa réputation et entend montrer combien il s’occupe avec attention de sa fille « handicapée » quand en fait il la terrorise, sans doute plus et pire… La population du village, coincée entre raideurs et alcoolisme, préfère se tenir prudemment à l’écart des non-dits.
Dans sa simplicité, ou sa réserve, Kertu en pince pour Villu qu’elle épie quand il vient donner un coup de main à son père. Sait-elle que Villu est un indécrottable ivrogne qui, entre autres, saute l’épicière du village? Peu importe, elle voit sans doute dans ce bel homme un exclu, comme elle.
Avertissement ou punition divine? le mauvais gars est informé qu’il est atteint d’un sale cancer, que ses jours sont comptés. Mais il a reçu un poème sur une jolie carte postale que Kertu a osé lui envoyer et qui l’a ému et pourrait dissiper ses addictions. Tous deux se rencontrent à la fête de la Saint-Jean. Les feux de la plage déclenchent ceux de l’amour, ils le font dans la pénombre pudique d’un clair de lune, maladroitement, sincèrement, joliment. Dès lors, ils sont les damnés de l’île, d’autant que de leur brève union Kertu tombe enceinte. C’était sûrement un viol! hurle la foule qui, contre bonne fortune mauvais cœur, veut continuer à bien penser. L’ordre paternel lui est donné d’avorter pour éviter l’infamie familiale.
L’amour triomphera, contre les vents et les marées de ce huis-clos insulaire, c’est -malheureusement- ce que l’on devine trop vite, d’autant que cet amour de deux hasards de la vie manque de charpente initiale. Le film réussit mieux dans la chronique au plus près d’un amour interdit, sans démonstration, entre poésie et réalisme, une grâce mélancolique à l’image de cette triste Kertu et de la comédienne qui l’incarne dans une émouvante retenue.
Ilmar Raag est estonien, un peu français aussi, il a étudié à la Sorbonne et situé son précédent film à Paris, le un peu plan-plan « Une estonienne à Paris » (2012).
En dehors de quelques ciné-clubs pointus, le cinéma estonien est inconnu en France. Le pays compte à peine 1,4 millions d’habitants, on comprend qu’il ne produise que quelques films par an, peu exportés. Des républiques baltes, c’est la plus proche de la Finlande, les deux pays se sentent proches. Kaurismaki, le finlandais a parfois dans ses films imaginé des personnages et des cadres estoniens (Tiens ton foulard, Tatiana, et le barré Calamari union).
La fraîcheur du cinéma estonien nous donne envie d’en voir la suite.
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