Histoire d’ados, paumés, chacun à leur façon. Le jeune « Ali a les yeux bleus ». Bleus? pas sûr. Cet italo-égyptien ne sait comment s’arranger de sa double culture. Gary est 100% américain, mais d’un Sud étouffant de misère. « Joe », le bad boy mal recyclé pourrait être un père de substitution. Deux fictions fortement sourcées au réel.
Joe – David GORDON GREEN (USA) 1h57
Joe est un bad boy du sud, à la marge depuis toujours. Il a fait de la taule pour une mauvaise embrouille avec un flic. A 48 ans, il s’est recyclé dans l’encadrement d’une équipe de bucherons, plus exactement « d’empoisonneurs d’arbres« : légalement, le propriétaire forestier ne peut abattre son bois que s’il est mort, autant accélérer le mouvement. S’il est réglo avec ses journaliers, principalement des blacks, la vie personnelle de Joe est un chaos permanent. Alcool, bagarres et visites au bordel du coin. En dehors de sa chienne, une pitbull, pas d’amis. Gary, un ado de 15 ans se pointe un jour à l’embauche. Il est prêt à tout pour un job qui lui permettrait d’aider sa famille à survivre. Wade, son père est une loque, les principaux éléments de langage de cette pure ordure sont les coups, et il ne voit pas d’inconvénients à prostituer sa fille. Ou à tuer sauvagement un compagnon de biture.
Gary et Joe, une rencontre idéale? Sans le formuler, un gamin qui n’a pas eu d’enfance imagine un père de substitution, pour le faux costaud qui n’est pas dupe de sa dérive, et aurait comme l’envie de tenter un chemin plus droit. Mais on est pas à Hollywood, le happy end n’est pas garanti…
Joe est adapté du roman éponyme de Larry Brown, un pompier venu tardivement à la littérature, avant d’être consacré comme l’un des meilleurs observateurs du « rough south« . David Gordon Green s’est imprégné de ses ambiances poisseuses et sordides, un trash social entre quart-monde et délinquance. Sans facilités: la relation entre Joe et Gary est tout sauf évidente, formatée. Le cinéaste laisse sa part au destin d’un monde brutal qui n’a pas d’autre règles que celles que suggèrent la misère. On est dans une forme de survie.
Parmi ses meilleures trouvailles, le recrutement pour tenir le rôle de Wade, ce père indigne, massacreur en série de tout, d’un sdf croisé dans la rue. Dans la composition d’un être ignoble, Gary Poulter réussit mieux que pas mal de professionnels. Bon choix également d’un Nicolas Cage qui, entre deux blockbusters, pourrait bien être l’un des meilleurs acteurs américains. Il donne à son personnage de Joe l’ambiguité d’un petit caïd à la retraite, rongé de l’intérieur. Dans un univers au bord du désastre.
Ali a les yeux bleus – Claudio GIOVANNESI (Italie) 1h39
Nader est né en Italie, de parents égyptiens immigrés. 16 ans, apparemment parfaitement intégré, il parle le même argot que ses copains italiens. Avec son meilleur ami Stefano, il hésite entre une petite délinquance et de vagues études dans un lycée professionnel. On le croit aussi à l’aise dans ses deux mondes culturels. Pourtant quand l’ado confesse à ses parents sa liaison avec Brigitte, une jolie ragazza, il ne supporte pas leur condamnation: « Tu es musulman, ça ne se fait pas« . Il explose et quitte le domicile familial. Son errance et son isolement se compliquent encore à la suite d’une sale bagarre en boîte. Ses parents le recherchent, lui font passer des messages, il comprend l’écartèlement entre ses deux univers, les compromis, les tricheries auxquels il est contraint. D’ailleurs Ali n’a pas les yeux bleus, ce sont des lentilles qui colorent ses pupilles noires, « pour faire plus occidental« .
Quelles sont les valeurs qui l’emportent pour cet italo-égyptien tiraillé entre deux cultures? Il croyait avoir tranché pour un confort européen, le conflit familial réveille un questionnement qu’il préferait ignorer. Quand Stefano lui révèle qu’il flirte avec sa sœur cadette, c’est le grand-frère qui se fâche, « Tu n’as même pas le droit de la regarder!« . S’il retourne impulsivement à la prière du vendredi, ça n’est pas pour autant qu’il a choisi. Son interrogation n’est pas double, elle est triple: il doit aussi faire avec la révolte de l’adolescence.
Le réalisateur, Claudio Giovannesi, ne décide pas non plus, n’arrange pas l’histoire, il est avant tout un documentariste. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un documentaire précédent qu’il avait croisé le vrai Ali, il était dans la rue pour les raisons qui lui ont suggéré ce film. Avec les vrais acteurs d’une histoire vraie, Ali, père, mère et petite amie compris. Le réalisme de son film s’accorde avec le réel. Voici ce qu’il en dit: « Il n’y a pas de solution au conflit vécu par Nader. Entre amour et interdit, entre culture d’adoption et culture d’appartenance, il ne lui reste que la conscience et la richesse de sa propre contradiction. »
On ne saurait mieux opposer aux partisans d’une intégration réglementée de l’immigration, sans débat. Dommage que Giovannesi leur offre la facilité de pointer un Ali immigré et délinquant. Car son film pose les vraies questions. Et il est réussi.
Et toujours:
– Les amants électriques – Bill PLYMPTON
– Les trois soeurs du Yunnan – Wang BING
– L’étrange Petit Chat – Ramon ZURCHER
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