« Suzanne » (Katell Quillévéré), « Le Géant égoïste » (Clio Barnard) 🎬
- Suzanne– Katell Quillévéré
- Le Géant égoïste – Clio Barnard
Deux jeunes femmes à l’affiche des belles toiles de la semaine.
Kattell Quillévéré est bretonne, Clio Barnard anglaise. Dans des façons assez différentes, elles proposent des portraits forts de rebelles. Suzanne perd la tête pour un mauvais garçon. Arbor le petit héros du Géant égoïste, à 13 ans, est déjà un bad boy d’une banlieue sinistrée du nord de l’Angleterre. Les deux films ont été salués dans de nombreux festivals. Ils emportent aussi notre enthousiasme.
Suzanne – Katell Quillévéré (France-1h34)
La passion des bandits de grand chemin
Ecouter et voir Katell Quillévéré, celle qui essaye -excusons la du peu- « de faire le grand écart entre Maurice Pialat et Douglas Sirk», répondre à un public lors d’un débat c’est comprendre sa manière de faire du cinéma. Entre les sentiments à l’os que traque son modèle français et les névroses américaines des années 50 que regarde flamboyer l’américain.
Grande concentration, précision d’argumentaire, qualité du verbe. La réalisatrice, révélée par Un poison violent présenté à Cannes en 2010, séduit dans son plaisir à convaincre ses interlocuteurs mais vaut son pesant de paradoxe. A son obsession du juste détail dans l’exposé oral correspondent la grande fluidité, la légèreté et le sens de l’ellipse de sa proposition cinématographique. Suzanne tient d’un réalisme quasi documentaire (un parking, un port, la vie des passants) et du mélodrame, du récit et du fragment. Le film diffracte 25 années de vie, ne respecte ni l’ordre des choses, ni la linéarité d’une histoire. Les décisions qui justifient les situations sont prises hors champ et laissent libre le spectateur d’imaginer les agencements d’une existence ou les souvenirs oubliés dans la mémoire.
Katell Quillévéré raconte qu’elle a beaucoup lu les autobiographies des femmes de truands français. Elle parle de leur courage mais aussi de leur grande (trop grande ?) fascination de ces virilités sans concession qui poussent à l’irrémédiable. Ici, un bébé gardé. Là, l’abandon de l’enfant. Mais Charlie grandira…
Suzanne aura donc une famille, un père camionneur, la tombe d’une mère, une sœur cadette, un homme, ce garçon né d’une passion et de l’urgence adolescente ; et un désastre. Bref un destin et une liberté, cadencés par un rock, génération 90/2000 (Electrelane, groupe de filles anglais ; Noir Désir, Courtney Love)… Et Nina Simone pour chanter Suzanne de Léonard Cohen.
Sara Forestier (L’esquive de Abdel Kechiche en 2004 lui a valu le César du meilleur espoir féminin) incarne cette femme-enfant et mère avec cette capacité de regard qui fait les égarées, qui signe les ambivalences et dit l’abrupt des choix sans retour.
François Damiens porte bien sur trois décennies cette tête de routier trop occupé. Toujours en retard pour sa marmaille. Mal garé, mais toujours là.
Julien, le voyou de Suzanne vient dit la réalisatrice « d’un casting sauvage. Paul Hamy est un non professionnel sur lequel nous avons parié». Bien vu cette gueule d’ange et de bandit résolu !
Quant à Katell Quillévéré, elle ressemble à ses films : Une puissance sans en avoir l’air.
Rencontre avec Katell Quillévéré au Festival du film de Sarlat 2013.
Philippe Lefait
Le géant égoïste – Clio Bernard (Grande-Bretagne-1h31)
Gamins à la ferraille
13 ans et déjà largué.
Arbor, fils de paumés sociaux des quartiers sacrifiés de Bradford (Nord de l’Angleterre) déborde d’énergie, trop. Il doit prendre ses cachets le matin pour calmer ses colères chroniques qu’il dirige aussi contre lui-même. L’enragé précoce a un copain, à la vie à la mort, Swifty. Tous deux ont été virés du collège: « inadaptés au système classique« , ça ne leur manquera pas, en effet ils sont pas fans de la chose scolaire… Dans leur errance, ils croisent Kitten, ferrailleur pas trop regardant sur l’origine de ce qu’il revend, un ferrailleur quoi. Nouveau père, il prend les deux gamins sous son aile, il imagine surtout que son commerce en tirera bénéfice. Car ils se révèlent durs à la tâche, rapportant toujours plus. Kitten a aussi un trotteur qu’il engage dans de folles courses clandestines sur autoroute! (voir l’extrait). Et Swiffty se révèle être un driver talentueux. Mais le job c’est la ferraille, faut la trouver, la chaparder de plus en plus souvent. A prendre tant de risques, c’est la catastrophe qui guette.
Thatcher fait du cinéma
Le film social est l’une des fortes fibres de l’excellent cinéma britannique. Depuis presque cinq décennies, Ken Loach a montré l’exemple. On pense aussi à d’autres, Tim Roth pourThe War Zone (le film entier en VO sans sous-titres) en 2000 ou à Lynne Ramsay et son terrible Ratcatcher en 1999. Il y en a eu bien d’autres (*), bienvenue dans ce monde brutal à Clio Barnard qui avec son Géant égoïste signe un premier long-métrage impressionnant. Sur un sujet proche, elle avait réalisé un documentaire remarqué, pas étonnant que son film soit d’un réalisme qui prend aux tripes. Pourtant elle n’en rajoute pas, pas besoin d’en rajouter, ces deux gamins en disent assez sur la déstructuration du tissu social d’une Angleterre des gens de peu qui continuent à payer les méthodes d’un thatcherisme impitoyable. Son talent de cinéaste rendrait presque beau et poétiques ces paysages de délabrement, mais pas de misérabilisme, le regard est presque froid, en tout cas il est glaçant. Et si le ton est souvent à une forme de comédie triste, le rire est jaune ou plutôt gris.
Plus que l’histoire qu’elle raconte dans une mise en scène brillante et sans esbroufe, ce sont les personnages qui intéressent par dessus tout Clio Bernard. Elle les suit au plus près et sa caméra ne cille pas. Pour les deux rôles principaux, elle voulait deux kids « sans expérience, ni formation« . Sous sa direction qu’on imagine tendre mais ferme, ils font des prodiges. Les adultes sont interprétés par des professionnels, et comme c’est la règle pour les acteurs britanniques, ils sont plus vrais que nature.
(*) Peter Mullan, Paul Greengrass (le conflit irlandais), Shane Meadows, Alan Clarke (à part), Peter Cattaneo (Full Monty), Mike Leigh (plus lourd), last but ont least, Stanley Kubrick dont on ne peut ignorer la dimension sociale de 0range mécanique.
Rémy Roche
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