En cette période d’entre-deux tours d’élection présidentielle, l’ambiance des campagnes n’est pas très aérienne. Évoquer quelques personnalités de bergères et l’iconographie de cette profession me semble bien plus rigolo que de s’appesantir sur les choix politiques dans nos villages…
Samedi soir, tu viens avec ta bergère?
ce mode relationnel n’indique pas qu’il s’agit de la femme de sa vie, mais plutôt d’une dépanneuse sympa.
Si la bergère temporaire se trouve justement élever des moutons, le gars s’entend immanquablement dire:
Ha ha ha, je te sers un Berger blanc plutôt qu’un Ricard, alors!
L’impayable humour agricole!
En fait, il y a très peu de véritables bergères, car ce métier consiste à surveiller le troupeau et être salariée pour cela. Cette pratique est encore développée en montagne de manière saisonnière, mais plus du tout sur les plaines, où la surveillance du troupeau est assurée par l’éleveur, qui a un statut de « fermier » et gère le fonctionnement de toute l’exploitation.
Outre la surveillance du troupeau, le travail pastoral consiste à mener quotidiennement les animaux dans la meilleure herbe, à de l’eau potable, à l’ombre quand il fait chaud, à l’abri quand le vent est fort, et à assurer les soins quotidiens: couper les ongles de pied, soigner les bobos et consoler les agneaux perdus. Les éleveurs qui pratiquent le pâturage d’espace naturels assurent donc un vrai travail de berger en plus de la gestion des affaires de la ferme.
Les troupeaux comptent aujourd’hui des centaines de brebis, mais à l’époque où les fermes étaient petites et diversifiées, et la main d’œuvre de moindre valeur, il échoyait à l’idiot du village ou l’innocente de la famille de garder le petit bétail. Eventuellement à la grand-mère qui n’en finissait plus de ne pas mourir, bouche à nourrir qu’on ne savait comment valoriser autrement. Car ce job ne requérait ni qualification particulière ni plan de carrière. Juste savoir s’occuper seul.
Souvent sans éducation et simplettes, ces jeunes filles s’ennuyaient sans doute affreusement, seules toute la journée sur les chemins à tournicoter un brin de laine sur leur fuseau. Ce qui expliquerait cette réputation de galante et facile compagnie qu’elles représentaient.
Qu’est-ce qui a pu tant plaire à Marie-Antoinette dans cette imagerie de jeune fille en sabot et haillon, pour se grimer en bergère de pacotille dans son petit Trianon aussi champêtre qu’Eurodisney, enrubannée de mousseline fleurie?
Jeanne d’Arc n’existait pas encore en tant que telle, puisque sa légende de jeune bergère de Domrémy entendant des voix n’a été développée que bien plus tard. D’ailleurs, elle n’était vraisemblablement pas la vierge éthérée qu’on imagine, mais une costaude à gros bras qu’on ne peut pas faire tomber de son cheval.
Dans la catégorie sexy, il y aurait plutôt l’Esméralda de Victor Hugo ou Manon des Sources. Point commun: discutent avec leurs chèvres, cascade de longs cheveux et hygiène douteuse. Des sortes de comtesses aux pieds nus, qui envoûtent les hommes simples d’esprit.
Après 1968, quelques bergères convaincues et militantes arpentent le Larzac en peau de mouton retourné, mais pas très coquettes.
Au cinéma, « Hiver Nomade » nous a récemment présenté une bergère éphémère, embauchée par amour dans la transhumance d’un troupeau sous la neige suisse. Et une bergère de l’extrême en Himalaya. Même si marcher réchauffe assurément les pieds, comment font-elles pour tenir avec ce froid?
Les bergères modernes relèvent de la haute sportivité, avec leur force de caractère et leur attirail de trekkeuse. Ou leur look d’épouvantail quand il fait chaud-froid-chaud.
La fermeté du contour de l’œil en prend pour son grade avec le soleil et le vent, mais le sentiment de liberté dans de grands espaces est intact. Solitaires et cuisses altières, elles sautent-mouton ou les rentrent à la chaumière. Bergères des mères et bergères sans terre vivent affranchies de l’apesanteur, éternellement légères.
Et je ne saurai finir sans citer quelques délicieuses futilités qu’évoque encore le mot « bergère » …
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