Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #92: C’est par où la sortie de l’enfer?
Après cinq ans d’absence, Paula redécouvre la Côte d’Ivoire par petites touches prudentes.
De janvier à avril, j’avais été « interdite de territoire » par mon employeur, le Ministère français des affaires étrangères: je n’étais pas « personnel essentiel ». J’avais alors rejoint Marco à Brazzaville, et de là, je suivais les informations espérant qu’amis et collègues ivoiriens pris dans la tourmente en sortiraient sans trop de dommages. Ils pouvaient fuir leur pays difficilement, voire pas du tout pour les moins fortunés. Fin avril, j’avais obtenu le droit de retourner à Abidjan. Il ne me restait alors que deux mois de contrat mais je voulais revenir. J’avais besoin de voir le pays, de vérifier qu’il sortait de l’enfer, de retrouver les amis abandonnés et très prosaïquement de rentrer chez moi pour récupérer mes affaires – la mise en stand-by m’était tombée dessus pendant un séjour en Europe et toutes mes affaires étaient à Abidjan.
Pendant deux mois, j’ai retrouvé mon poste et son projet. J’ai pu partir en tournée sur les sites de l’intérieur du pays pour évaluer les dégâts. J’en suis rentrée pleine d’amertume. Certains sites avaient été pillés, des équipes dispersées, nous avions fait trois pas en arrière alors que nous en étions au quatrième… La dynamique que nous avions impulsée depuis trois ans et qui devait nous permettre de passer d’un projet pilote à un projet national avait été soufflée par la violence de la crise politique. Il fallait la relancer, sur des bases qui, toutefois, étaient encore solides.
J’ai demandé à prolonger mon contrat d’un an pour participer à ce nouveau défi mais les règles d’embauche de mon employeur se sont retournées contre moi: tout vacataire travaillant plus de 6 ans doit être « cédéisé », et j’avais déjà plus de cinq ans au compteur. Ma demande fut refusée.
Depuis mon retour en octobre 2016, je marche dans ce quartier du Plateau où j’ai vécu autrefois. Je le traversais alors d’est en ouest. Mais notre rue aujourd’hui est sur l’axe nord sud, et j’en ai perdu mes repères, y compris son point névralgique: le marché de la Sorbonne, du nom d’un vieil immeuble délabré s’érigeant comme un clin d’oeil fatigué à une époque révolue, celle du « Vieux » (Houphouët-Boigny). A ses pieds, s’entremêlaient des allées sombres et mystérieuses formées d’étalages bâchés en tout genre. Je n’y étais jamais entrée. Ma famille en visite, oui. Ils en étaient ressortis quelque peu sidérés. C’était un marché de bric et de broc. Pas de nourritures. Les produits phare étaient les CD et les DVD et pour ces derniers, le choix allait des télévangélistes au porno le plus révoltant. Comme je le longeais chaque matin en voiture, je connaissais les vendeurs rabatteurs, ceux qui vous appâtent avec quelques morceaux choisis. Au début, ils ne savaient pas trop quoi me proposer. Voyant que c’était une femme au volant, ils mettaient vite les pornos en fin de pile pour ne pas m’offusquer et me présentaient quelques unes des innombrables méthodes religieuses pour me garantir succès et richesse. Rapidement, ils avaient compris mon manque d’intérêt pour la chose religieuse, et nous nous saluions tout simplement.
La « Sorbonne » avait mauvaise réputation. On disait qu’il y avait des caches d’armes; on la disait tenue par des jeunes prêts à tout pour quelques billets et achetés par Gbagbo; d’ailleurs, à un étal, une télé diffusait en boucle une vidéo de l’attaque en 2004 d’un camp militaire français à Bouake, des représailles françaises fatales à l’aviation ivoirienne et des émeutes anti-françaises qui s’en étaient suivi.
Aujourd’hui, je ne sais pas ce que sont devenus ces jeunes. Certains ont dû mourir en 2011 lors des affrontements particulièrement violents dans le quartier, certains ont dû partir. Le marché a été rasé, est redevenu parking au pied du vieil immeuble toujours debout qu’il faudra bien un jour démolir.
Des jeunes sont là, ils vendent des billets de loteries, des téléphones et des montres qui brillent, ils « louent » des places de parking – en nouchi (le parlé abidjanais) on les appelle « les Djosseurs de Naman ». Certains regardent désabusés les affiches placardées sur les abribus qui leur promettent une vie rêvée de footballeur en … Biélorussie.
Dimanche dernier, ils ont peut-être voté pour l’un ou l’autre des candidats lors des législatives. Ou peut-être pas. La fièvre politique est retombée; d’après les premiers résultats, le taux d’abstention aurait été élevé malgré les meetings et les affiches de mobilisation du gouvernement et les campagnes incitatives: « Femmes de Côte d’Ivoire, votre voix compte, sortez pour aller élire votre Député« ou « Je me rends aux Urnes, j’élis mon Député sans violence ».
En voyant l’affiche destinée aux femmes, je me suis souvenu qu’en 2003, alors en Algérie, j’avais été figurante dans un spot TV incitant les femmes à voter. Ma présence était incongrue mais nous avions bien ri avec mes copines algériennes. D’ailleurs, souvent, dans la rue les gens me prenaient pour une Kabyle, alors finalement, je ne dépareillais pas dans ce groupe de femmes engagées.
En RDC, la population aurait apprécié de pouvoir aller aux élections en novembre. Kabila vient d’achever son mandat et les électeurs ne voient toujours rien venir pas même « le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie », plutôt des perspectives de cataclysmes.
Tout Nomad’s land.
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