« La Princesse de Clèves », le beau roman théâtral de Magali Montoya
Comédienne au théâtre et au cinéma, Magali Montoya s’avère une directrice de troupe particulièrement avisée dans ce spectacle intense et haletant qui nous entraîne dans le fascinant entrelacement de récits que constitue le classique de Mme de Lafayette. Mené avec brio par 6 actrices qui interprètent tous les rôles, ce spectacle marathon (8 heures) est une perle rare.
La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second.
Marie-Madeleine de La Fayette. « La Princesse de Clèves »
Difficile de trouver une ouverture de roman qui situe avec autant de concision un contexte tout en éveillant la curiosité. En découvrant sur la scène du Théâtre national de Bretagne à Rennes l’adaptation que livre Magali Montoya de La Princesse de Clèves, ces seuls mots suffisent à nous faire comprendre pourquoi la comédienne – qui signe ici sa deuxième mise en scène – s’est lancée dans cette folle entreprise de restituer sur les planches dans sa quasi intégralité ce classique du XVIIe siècle français.
Avec à ses côtés les actrices Arlette Bonnard, Eléonore Briganti, Elodie Chanut et Bénédicte Le Lamer, Magali Montoya, dont on a pu voir en 2011 une adaptation bouleversante de L’Homme-Jasmin d’Unica Zürn, met en place un dispositif d’autant plus efficace qu’il joue la carte de la sobriété. Pas de grandiloquence, pas d’effets de mise en scène, pas de décor somptueux reproduisant les fastes de la cour, on s’appuie ici sur le strict minimum: des peintures projetées sur un écran, réalisées dans le temps même de la représentation par la plasticienne Sandra Detourbet; un accompagnement musical par le guitariste Roberto Basarte – un peu trop présent parfois, c’est une des rares réserves que l’on peut exprimer sur ce spectacle.
Nuances et subtilités
Surtout, il y a ce portant où s’alignent une série de robes dont il faudra se parer le moment venu. Sauf que justement ces costumes en quoi l’on peut légitimement voir les signes d’une mondanité chatoyante ne sont, examinés sous un autre angle, que des bouts de tissus visant à mettre en valeur l’apparence; et donc les symboles d’une certaine vacuité. Il y a un petit côté janséniste dans la mise en scène de Magali Montoya.
Ces robes donc, exhibées plus que portées, renvoient au ton général de cette adaptation attentive non seulement à faire entendre un texte dont la capacité évocatrice se suffit en quelque sorte à elle-même, tant la langue à la fois concise et d’une redoutable précision de Mme de Lafayette illumine son sujet, mais aussi à en préserver les nuances et subtilités comme on entretiendrait une flamme fragile. Tout au long des 8 heures que dure le spectacle, les cinq actrices négocient sans difficulté ce périlleux décrochage consistant à passer insensiblement du style indirect au style direct, autrement dit de la troisième à la première personne et réciproquement.
Triangle amoureux
Pour Magali Montoya, il est essentiel que l’on n’oublie jamais que c’est d’un roman dont on fait ici théâtre. Quitte à s’exprimer livre en main quand c’est nécessaire. Ainsi les actrices assument les personnages plus qu’elle ne les incarnent. Telle Bénédicte Le Lamer, parfaite dans le rôle de Mlle de Chartres dont l’auteur écrit:
Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes.
Si on la présente ainsi à la cour c’est que Mlle de Chartres est en âge d’être mariée. Sa mère, Mme de Chartres, s’efforce de lui trouver le meilleur parti possible. De préférence un proche du roi. Sans succès, même si sa fille allume des incendies dans les cœurs. Elle épousera finalement le prince de Clèves. Celui-ci est follement épris de la jeune femme, laquelle en dépit des qualité qu’elle lui reconnaît n’éprouve « aucune inclination particulière pour sa personne ».
L’intrigue se noue définitivement avec l’arrivée du jeune et fringant duc de Nemours, absent de la cour parce qu’il était en mission pour le roi à Bruxelles. Le moins qu’on puisse dire est qu’entre Nemours et la princesse de Clèves le courant passe. Mais il est trop tard. Naît alors ce qui est peut-être le triangle amoureux le plus intense de la littérature française. Prise entre l’estime qu’elle voue à son époux et la passion que lui inspire Nemours Mme de Clèves choisit à plusieurs reprises de fuir la cour pour se réfugier à la campagne.
Son refus de tenir son rôle dans le monde exige des explications. À genoux devant le prince dans une clairière, elle lui confesse sa passion pour le duc de Nemours. Ce dernier dissimulé derrière des buissons assiste à la scène. La sincérité de Mme de Clèves fait des ravages. Rien n’obligeait l’épouse à ouvrir ainsi son cœur. Le prince ne s’en remettra pas. D’autant que la confession espionnée par Nemours sera malencontreusement éventée dans le monde.
Chassé-croisé
Le prince mort, aucun obstacle ne se dresse désormais entre Mme de Clèves et le duc. Les voilà enfin seuls face à face pour la première fois. Le duc, qui n’a cessé de la poursuivre de ses assiduités sans jamais baisser la garde, s’excuse de l’avoir espionnée. Elle lui répond sereine: « Ne vous excusez point; il y a longtemps que je vous ai pardonné sans que vous m’ayez dit de raisons ». Mais quand elle lui confirme son amour, c’est pour le rejeter. Par devoir en mémoire de son époux défunt, dit-elle. Ce qui ne l’empêche pas de préciser: « Il est vrai que je sacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsiste que dons mon imagination ».
Extraits audio:
La Princesse de Clèves, de Mme de Lafayette, mise en scène Magali Montoya – jusqu’au 26 mars à L’Echangeur Bagnolet 93
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