Les Carnets d’ailleurs de Marco et Paula # 49 : le Congo, c’est le Far West!
Marco écoute. Regarde. Il écoute la radio, il écoute le chauffeur, il regarde autour de lui, et il bascule dans le Far West. Là, en plein milieu de Kinshasa.
– Ah, oui ! répond-il. A la manière de Kinshasa !
– Ah oui, de ce que je comprends, on aime bien faire la fête à Kinshasa !?
– Oui, mais il n’y avait pas d’argent pour la fête. C’est ça, Kinshasa.
– Ah bon – et, heu, la famille, ça va ?
– Oui, à la grâce de Dieu. Je dis à la grâce de Dieu, parce que, s’il fallait compter sur les humains, hein… »
Je n’avais encore jamais pensé à cette explication de la religiosité en Afrique : puisqu’il est y insensé de faire confiance aux humains, il ne reste qu’à se tourner vers Dieu. Quelques matins plus tard, j’ai entendu sur France-Culture un invité d’Alain Finkielkraut parler de la consolation qu’apporte la religion, ce qui m’a paru un peu éthéré ; ici, on en est pas encore à la consolation, on en est seulement à la survie.
Et ne vous mettez pas à rêver que l’on peut trouver France-Culture sur la bande FM locale. Non, en fait, tous les matins, je connecte mon ordinateur sur internet et j’écoute la radio de la rue d’Ulm en “streaming”. C’est une consolation de la modernité.
Sur le chemin du retour, nous avons à un moment une belle vue du fleuve et de Brazzaville, sur l’autre rive. Le chauffeur me demande si je connais Brazza. Je lui explique que j’y ai travaillé pendant un an, et il demande si j’ai bien aimé la vie là-bas.
– Oui, c’est beaucoup plus petit que Kinshasa, et c’est très calme. Le soir, je pouvais me promener dans la rue sans problème. Tandis qu’ici, à Kinshasa…
– Ah, si vous vous promenez le soir à Kin, vous allez vous faire dévaliser. Et si vous ne leur donnez pas tout, crouiiic ! «
Il glisse rapidement le tranchant de la main sur sa gorge, et éclate de rire.
Bienvenue à Kin.
Nous sommes allés, l’autre soir, voir le documentaire de Thierry Michel et Colette Brackman, “L’homme qui répare les femmes”, le portrait d’un médecin qui s’est trouvé confronté à l’utilisation du viol comme arme de guerre systématique dans l’Est du Congo. Il fait campagne pour que s’instaure un état de droit, et que les coupables soient punis. Après le film, il y eut un débat, dont j’ai retenu cette réponse, à la fois candide et effrayante, d’un membre du cabinet de la représentante personnelle du Président en charge de la lutte contre les violences sexuelles et le recrutement des enfants :
Oui, reconnaît-il, c’est vrai que des juges acceptent de libérer les prévenus contre le versement de cent dollars, mais,vous savez, il n’y a pas que des moutons noirs, il y a aussi des magistrats qui font leur travail…
De toute façon, il ne s’agit que du menu fretin, des violeurs de campagne. Les officiers, eux, sont intouchables. Pour gagner ses étoiles de général, dit le médecin, il faut tuer au moins mille personnes. Ça s’appelle l’impunité.
Et même pas sûr qu’il y ait des magistrats qui font leur travail ; j’ai rencontré aujourd’hui un jeune avocat qui a reçu une partie de sa formation à l’international, et il m’a confié qu’il ne pensait pas exercer. “Ça ne sert à rien,” dit-il, “il n’y a pas de lois dans ce pays.”
Bienvenue au Far West.
Pendant des années, peut-être d’avoir trop lu les aventures du Lieutenant Blueberry et autres outlaws, je m’étais demandé comment c’était, la vie au quotidien sur la frontière. Difficile à imaginer quand on a passé toute sa vie dans un système hyper-structuré où un affront au politiquement correct vous donne des allures de hors-la-loi incontrôlable. Maintenant, le Far West, je connais, j’y vis. C’est assez indescriptible.
Parfois, certains savent décrire. En général, ils le paient cher. Eric Mwamba est un journaliste congolais qui s’est mis en sureté en Australie, mais continue à enquêter. Dans un article publié en 2013 par un magazine que je ne saurais trop vous recommander – ZAM – il rapporte ses conversations avec un ancien conseiller du Ministère des finances, qui raconte benoîtement que lorsqu’il était en poste, en plus de son salaire officiel de 750 euros, il se faisait régulièrement jusqu’à 225.000 euros. Par mois. Sa famille vit en Afrique du Sud, car là-bas, au moins, il y a des services. De l’électricité. Des écoles. Des hôpitaux.
Évidemment, il y a des empêcheurs de faire sa pelote. En particulier ces puritains de l’aide internationale qui se font les apôtres des réformes et veulent instaurer une meilleure gouvernance. Ça n’est pas grave. Le conseiller s’était arrangé, moyennant un demi million de dollars, pour bloquer une de ces réformettes qui allait empêcher un collègue de faire travailler le système à son avantage.
C’est beau, le Far West. The land of opportunity.
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