« Festival » d’egos, un moment de théâtre drôle, intelligent, donc grinçant
Dans « Festival » de Guillaume Poix, la compagnie Premières Fontes parodie les gloires dérisoires et les vanités amères d’un jury maltraité par l’histoire, en dénonçant les faux-semblants politiques et narcissiques qui fondent nos sociétés occidentales. C’est à voir à Lyon.
Et si le festival de Cannes s’exilait dans un ancien pays colonisé que traverse un vent de contestation? Et si des vedettes de téléfilm se trouvaient obligées de retremper leurs idéaux politiques à l’épreuve d’une réalité miteuse?
Le décor est superbe, exotique et cinématographique à souhait –et l’on se dit que c’est bien normal puisqu’il s’agit d’un festival de cinéma. Une organisatrice glamour et un peu kitsch, jouée par Éloïse Hallauer, est visiblement rayonnante: sa rhétorique et ses compétences sont loin d’être irréprochables, elle s’emmêle les pinceaux et tente de camoufler quelques gaffes assassines par une bonne volonté inépuisable, et sa virtuosité réussit finalement – quoique temporairement –à faire illusion. On sent qu’elle vit son heure de gloire et que ce festival sera son œuvre ou ne sera pas.
Le décorum est d’ailleurs là pour rehausser d’un panache un peu fake cette première édition qui se veut prometteuse: les stars, éblouissantes, descendent les marches de cette cérémonie d’ouverture pour venir s’installer devant les photographes, au milieu des palmiers. Les beaux costumes d’Elsa Bourdin et l’ingénieuse scénographie de Cassandre Boy évoquent les tableaux du douanier Rousseau, le film Barton Fink des frères Cohen ou le Grand Budapest Hotel car un je ne sais quoi de désuet et de vaguement écœurant se dégage de la scène. Serait-ce que ces vedettes ont déjà fait leur temps, et masquent comme elles peuvent leur vanité et leurs désillusions?
La « grande famille du cinéma »
La présidente, une fausse bobo psychorigide impeccablement jouée par Sophie Engel, n’a pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds par les autres membres du jury, mais c’est sans compter avec les exigences et les ego de tout ce joli monde: l’acteur à fleur de peau dont le narcissisme et la superficialité semblent sans limites (Pierre Cuq), l’écrivaillon plein de charme et d’idéaux mais lèche-botte au possible (Noé Mercier), l’universitaire jargonnant qui peine à cacher son complexe d’enseigner la comédie à des étudiants illettrés au lieu d’être devenu un artiste (Mathieu Petit), la jolie starlette dont le sourire hollywoodien masque mal les névroses (Liza Blanchard) et le producteur glaçant de lucidité et de matérialisme (Joseph Bourillon) constituent autant de types d’une comédie du cinéma saisie avec un humour et une cruauté sans merci. La grande famille du cinéma est rayonnante lorsque les appareils photos crépitent, mais il suffit que la clim tombe en panne pour que l’ambiance devienne aussi exécrable que la situation politique.
Une comédie politique
Dans cette comédie, très différente de leur précédente création (Le Groenland de Pauline Sales), la compagnie Premières Fontes, fondée par le créateur sonore Guillaume Vesin et par l’auteur et metteur en scène Guillaume Poix, joue de tous les ressorts comiques de la parodie et de l’absurde pour démonter les mécanismes qui font progressivement perdre la face à ce jury de vedettes sur le retour. Humour potache, jeux de mots et références érudites, comique de caractère et renversement des situations forment un mélange détonnant qui maintiendrait la salle dans un état d’hilarité continu si la dramaturgie ne développait aussi, en parallèle, une ligne de malaise que viennent progressivement accroître l’atmosphère sonore (Guillaume Vesin) et les lumières (Alix Veillon). La musique spécialement composée par la chanteuse Fabienne Débarre (We Were Evergreen et Baxter Dury) joue parfaitement de la parodie pour singer le glamour et la pompe des grands festivals internationaux, que la création sonore de Guillaume Vesin fait dérailler en un jeu de dissonances comiques ou oniriques, à la limite du fantastique. Au détour des délibérations, des scènes de séduction ou des règlements de compte, une atmosphère sonore inquiétante s’infiltre subrepticement, comme pour annoncer le séisme dont on ne perçoit que les prémisses.
Si Guillaume Poix parodie les codes du théâtre de boulevard et de la comédie de situation, c’est pour soulever des enjeux politiques: ce jury d’artistes, si has been soient-ils, sera-t-il capable de s’engager quand les conditions du festival commencent à se dégrader, sous la pression concomitante d’une organisation catastrophique et d’une guerre civile dont ils peinent à comprendre les tenants et les aboutissants? S’ils se veulent d’ardents défenseurs des droits de l’homme, sont-ils pour autant débarrassés de préjugés coloniaux et occidentaux dont ils n’ont même pas conscience?
Lauréat des journées des auteurs de Lyon et de l’aide à la création du CNT pour sa pièce Straight (Éditions théâtrales), Guillaume Poix met ici en scène une comédie à l’humour grinçant et glaçant: on n’a pas trop des francs éclats de rire que crée le grotesque des situations pour faire passer le malaise de la réalité représentée devant nous. Ces stars sont nos idoles, mais aussi des images de nous-mêmes: futiles et égoïstes, incapables de conserver un semblant de dignité face à des petites contraintes sans importance. L’histoire « avec sa grande hache » comme disait Perec les laissera donc sans voix, après bien des éclats.
Festival – texte et mise en scène Guillaume Poix – Lyon, Théâtre Le Fou – jusqu’au 17 mai
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