Le consultant est un pêcheur. Nous sommes à la mi-Novembre 2014, mon contrat avec la Banque Africaine de Développement s’est abruptement terminé fin Septembre.
Ce lundi matin, il y a dans ma boîte courriel la lettre d’info de Devex. La liste est longue. Très longue. Un copié-collé dans une feuille de calcul m’annonce qu’il y a 1 145 annonces à examiner… Le consultant est un orpailleur, cherchant sa pépite dans des tas de gravats. Je crois que je vais mettre FIP en fond sonore. C’est la beauté de la technologie: avec la connexion internet, nous pouvons écouter le journal de France Culture le matin en prenant le petit déjeuner. Bien mieux que le muezzin guttural du quartier.
Par curiosité, j’ai fais un copié-collé en traitement de texte; il y en a 60 pages… Je crois que je vais sucer un autre morceau de chocolat noir. D’autant que la lettre d’info de DevelopmentAid, tombée dans ma boîte vendredi, m’attend encore. C’est le blues du lundi matin, comme si j’allais au bureau pousser de la paperasse, moins les conversations avec les collègues sur les réjouissances dominicales et la dernière connerie du benjamin. Et des collègues, pourtant, j’en ai. Sur Devex, nous sommes plus de 600,000 à être enregistrés.
La lecture des annonces -du contrat de dix jours à une position de conseiller pour trois ans- donne une bonne indication des stratégies de développement des pays. Les annonces pour le Rwanda ressemblent assez aux annonces pour l’Éthiopie: des postes très techniques, ciblés sur quelques domaines bien identifiables. Deux pays qui ont des stratégies claires, et des régimes politiques assez similaires -entendez, autoritaires. Bien sûr, c’est seulement une impression -un vieux réflexe académique me dit qu’il faudrait faire une analyse statistique avant d’avancer cette observation.
En revanche, depuis quelques semaines il y a un déluge d’annonces pour des postes dans l’urgence et le sanitaire au Liberia, au Sierra Leone et en Guinée. Il y a quelques mois, on pouvait lire pour ces pays de nombreuses annonces sur la réforme des finances publiques Elles ont été balayées depuis par un flot de «body fluids», pour utiliser l’euphémisme anglais. Le virus s’attaque aux bidonvilles, et à l’État.
Lu: sur Edge (magazine intello new-yorkais en ligne), une discussion avec Molly Crockett de l’Université d’Oxford sur «The Neuro-science of Moral Decision Making». Molly s’intéresse plus particulièrement aux décisions qui impliquent des compromis entre les intérêts personnels et les intérêts des autres, entre les désirs du moment et les buts plus lointains, et quelle en est la chimie cérébrale; les neuro-modulateurs qui circulent derrière tout ça. [http://edge.org/conversation/molly_crockett]
Première observation que j’ai retenue : «on trouve de plus en plus d’indications que si l’on donne des testostérones, ou si l’on influence le niveau de sérotonine ou d’ocytocine d’une personne, celle-ci aura tendance à prendre des décisions d’ordre moral qui seront différentes de celles qu’elle aurait prises sans ces modifications». Pas d’une manière dramatique, mais significative tout de même. «Et parce que le niveau et la fonction de nos neuro-modulateurs changent tout le temps en réponse aux évènements dans notre environnement, cela veut dire que les circonstances extérieures peuvent jouer un rôle dans ce que nous pensons être juste, et ce que nous pensons être injuste». Je ne sais pourquoi, mais j’éprouve toujours une sorte de satisfaction perverse quand je tombe sur des arguments qui viennent dégonfler la baudruche du libre-arbitre; la vache sacrée des cultes occidentaux à l’Ego.
Autre observation que je note: d’après les travaux de Roberto Weber et Jason Dana, «si vous mettez des gens dans des situations dont les conséquences sont ambiguës, ceux-ci vont en profiter pour choisir la décision égoïste qui leur permet en même temps de préserver l’image de personne morale qu’ils se font d’eux-même». En revanche, si la situation n’est pas ambiguë, s’il est clair que la décision pourrait avoir des conséquences sociales fâcheuses, les gens ont tendance à prendre la « bonne » décision. Je gamberge : on pourrait peut-être avancer que si les conséquences des actions étaient mieux mises en lumière, bref, si il y avait la parfaite information dont rêvent les économistes, moins de petits malins seraient tentés de prélever leur dîme. Mais seulement dans une certaine limite : J’ai du mal à croire que cela retiendrait vraiment les généraux irakiens qui, comme le raconte un article du NY Times, vendent à l’ennemi les munitions destinées à leurs hommes, leur font payer leurs rations de nourriture, et leur achètent des armes qui explosent après deux rafales.
Tout Nomad’s land.
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