Marco et Paula sont deux nomades qui suivent des routes allant de l’Afrique à l’Amérique. Elle œuvre dans l’humanitaire, il est consultant international façon Banque mondiale. Ils racontent leur nomadisme, les lieux et les gens, des moments fugaces, leur travail, les chemins de traverse de la vie errante.
La Tunisie connaît à cette époque de l’année une espèce endémique de siestes joliment appelées grenadines. La sieste grenadine n’est ni digestive ni coquine ni même une sieste. C’est un pic de forte chaleur entre midi et trois heures qui permet aux grenades de mûrir et devenir goûteuses. Je les mange grain par grain. Poisseux mais délicieux!
Rubrique ménagère: en cuisinant, j’ai découvert que les plaquettes de beurre, ici, ne font pas 250g mais 200g. J’ai regardé de plus près la contenance de produits standard, particulièrement celle des produits importés d’Europe. Eh bien, pour un emballage et une présentation à priori similaires à ceux que je connais « back home », certains sont vendus en contenance réduite: exemple, le tube de dentifrice « Vademecum » contient 65ml de pâte et non plus 75 quand la marque locale contient bien, elle, 75 ml. Une nouvelle forme de dumping? Je connaissais déjà les yaourts «Paniers de fruits» sans fruits qui permettent à Danone d’aligner ses prix sur celui des yaourts locaux, ou les céréales Kellogs aux flocons réduits en miettes comme s’ils venaient des fonds de cuves.
En début de mois, notre quartier de Bab Lakoues a été envahi de moutons -pas trop blancs, les moutons- prenant ainsi des allures de Petit Trianon. Il y en avait partout, enfin jusqu’au 6 octobre au matin, quand les musulmans ont célébré l’Aïd al-Kebir (une fête en rappel du sacrifice d’Abraham). On trouvait mis à la vente de la paille, bien sûr, mais aussi des barbecues de tailles et de formes improbables: j’en ai vu un tout petit fait avec des canettes de récupération. Pour finir, il a plu ce week-end-là, alors le barbecue de poche n’était pas si absurde. Nous, nous avions fui le bêlement des égorgés, les cris des enfants, et les odeurs de grillade, filant en voiture dans le nord-ouest du pays, en montagne puis à la mer au bout du bout d’une route.
Vue: une Alpha Roméo flambant neuve peinte en vert kaki avec plaques de l’armée et de jolis rideaux aux vitres arrière, ni à fleurs, ni à carreaux mais d’un beau vert règlementaire. Un cadeau de la Révolution?
Mon copain le muezzin chante délibérément mal car les salafistes ont décidé que l’appel à la prière ne devait plus être joli (c’est décadent) mais injonctif (m’explique une amie non «barbue»). Le «n» nasal qui me désespère et m’exaspère est voulu. Je n’avais rien compris, je pensais que les croyants allaient à la prière le cœur en fête. Mais tous les muezzins ne sont pas salafistes car celui d’Alfaouine, la mosquée principale du quartier, s’obstine à scander et moduler.
Depuis un mois, l’affaire des poubelles de Djerba défraye la chronique. Toute l’île s’est mise en grève pour protester contre l’accumulation des ordures. En serait la cause, non pas la désinvolture des employés municipaux, mais le refus par une commune sur le continent, détentrice d’un dépôt d’ordures, d’enfouir les déchets de ces « autres-là qui se la jouent! » sur leur île. La résolution du conflit aurait nécessité le recours aux Sages des deux tribus antagonistes. A part ça, il n’y a pas de tribus en Tunisie.
Et du côté de chez nous, les ordures sont toujours là, en vrac. On accuse souvent les touristes mais, pour le coup, ils sont bien trop rares dans notre quartier. La situation s’est améliorée depuis deux mois mais reste déplorable… L’école a jeté des sacs de copies -vite éventrés par les chats et les hommes- sous un panneau appelant les citoyens à préserver leurs enfants en ne déposant pas leurs poubelles contre les murs de ladite école. Le truc, c’est que personne ne sait où déposer les sacs. Nous mettons les nôtres près de la mairie pour stimuler l’intérêt des édiles.
Octobre, c’était aussi le mois des élections législatives. « Tout va changer! » après les élections, nous répétaient à l’envie les nombreux postulants à la députation (je mettrais bien un «i» à la place du «u»). Pour la zone de Tunis 2, la nôtre, 45 listes. Cela aurait dû en faire des prospectus dans les boîtes aux lettres, mais nous n’en avons trouvé qu’un, pour le parti des poissons (des symboles -pigeons, vélo, ampoule, etc.- doivent faciliter le vote des mal-lettrés). Une seule équipe est venue nous rencontrer; enfin nous saluer puisque dès le «aslima» de politesse, ils ont compris que je n’étais pas tunisienne, à moins que ce ne soit ma tenue d’un matin dominical qui m’ait trahie.
Un jeune collègue de l’association pour laquelle je travaille ne s’était pas inscrit sur les listes électorales. La politique tunisienne l’indiffère: il ne voit pas l’intérêt de voter pour des institutions qui, dit-il, ne lui apportent rien. Mais ce jeune homme milite pour la protection des aires maritimes: il tient un blog, participait le week-end des élections à une conférence en Slovénie, s’est fait tatouer, sur quinze cm de long, sur son avant bras gauche, le mot « cetacea » (en latin dans le texte) … un militant!
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