« I used to be darker » (M. Porterfield), « Tel père, tel fils » Hirokazu Kore-Eda), « 2 automnes, 3 hivers » (Sébastien Betbeder)
N’en jetez plus, la hotte est pleine! Un japonais, un américain, parmi les meilleurs films étrangers de l’année et un français qui participe impertinemment au renouveau du cinéma tricolore. A déguster tous les trois, garantis sans surcharge gastrique.
- I used to be darker – Matt PORTERFIELD (USA) (1h30)
Taryn, 19 ans a fugué de chez ses parents irlandais. Grande ado à la fois fragile etintrépide. Atterrie sur une ville-plage américaine, après avoir été larguée par un jules, elle décide de se rendre chez son oncle et sa tante qui n’habitent pas loin. Ca tombe mal, Kim et Bill sont en train de divorcer dans la douleur. Taryn arrive en même temps que leur fille, Abby qui étudie à New York, une teigne capricieuse, faut dire que le divorce de ses parents, ça passe mal. Les deux cousines sont pourtant ravies de se retrouver, parler chiffons et de la vie, mais ça ne va pas durer. Les adultes se déchirent, les ados se chamaillent. Une chronique, il n’y a pas vraiment de début, pas de fin, juste quelques semaines d’été avec quatre personnages dans un moment clé de leur vie.
A l’évidence, il y a du vécu dans tout ça. D’ailleurs Porterfield a écrit le scenario avec une ex, Amy Belk, et il est lui-même le fils de parents divorcés. Son film est aussi pertinent dans la description de la complexité d’une séparation de quadras que dans celle de l’âge post-ado qui mêle liberté et anxiété. La précision de cette immersion dans ces instants de vie de ces quatre solitudes qui se confrontent ou se mélangent a des tonalités documentaires.
La musique est en vedette américaine, que de la bonne, elle n’est jamais plaquée, toujours justifiée par ce qui se passe à l’écran. Kim et Bill sont musiciens, les acteurs qui les interprètent aussi. C’est ça aussi la vérité de I used to be darker qui touche, Porterfield n’ajoute presque rien dans sa réalisation discrète mais ultra-précise.
Le cinéma indépendant américain dans ce qu’il a de meilleur et sûrement l’un des plus beaux films étrangers de l’année.
- Tel père, tel fils – Hirokazu KORE-EDA (Japon) (2h00)
Ryota et sa femme Midori, la trentaine, bourgeoisie aisée japonaise. Argent, confort et Keita, leur adorable fils de 6 ans qu’ils chérissent. Ryota veut l’emmener vers l’excellence, en faire un battant exigeant, comme lui.
Tsunami! ces parents comblés apprennent que Keita… n’est pas leur fils. Dramatique échange de bébés à la maternité.
A l’inverse, l’autre famille est socialement populaire et beaucoup plus modeste. Le père Yudai est un petit commerçant jovial, un peu vulgaire, sa femme a le franc-parler décomplexé et du coup, Ryusei « leur » fils est plutôtjeux vidéos que leçons de piano. Les quatre parents se rencontrent et envisagent toutes les solutions y compris financières. Mais de solution, il n’y en a pas.
De cette impasse, Etienne Chatiliez avait fait une comédie à succès, choisissant de privilégier la stigmatisation des différences sociales, donc de style de vie des deux familles. Négligeant du même coup le fond de la vraie question à laquelle s’attaque de front Kore-Eda de façon belle et tragique. Tel père, tel fils, excellent titre pour stigmatiser la vanité du dicton. Qu’est-ce qui l’emporte: le sang ou la pratique? L’énigme est posée et le cinéaste japonais n’en a pas la réponse, nous suggérant au passage que nous non plus. Finement, il montre l’indicible du sentiment de paternité et de filiation. « On ne devient pas père tout seul, explique-t-il, c’est votre enfant qui fait de vous un père. » Et en explorateur, il cherche, nourrissant son scenario de multiples pistes. Par exemple, il imagine que Ryota a été élevé dès son plus jeune âge par une belle-mère qui lui dit: « Depuis le temps que je te connais et que j’ai vécu avec toi, je ne vois pas la différence avec une vraie mère. »
On est désarçonné par l’incertaine démonstration, accessoirement somptueusement filmée, désarçonné face à l’insoluble.
- 2 automnes, 3 hivers – Sébastien Betbeder (France) (1h31)
Arman a fait les Beaux-Arts, mais à 33 ans c’est plutôt les petits boulots qu’il enchaîne. C’est un gars sympa, ébouriffé, un peu gauche. Un matin, en faisant son jogging, ilpercute Amélie, également joggeuse. Échanges de regards qui pourraient en dire long mais sans suite. Enfin sauf quand Arman recroise par hasard un soir Amélie, elle est en train de se faire attaquer dans une ruelle par deux voyous. En la sauvant, il se prend un mauvais coup de couteau mais à sa sortie de l’hosto il s’installe avec elle.
Une histoire assez banale, chronique générationnelle, une de plus? Oui et non, car le grand intérêt du film n’est pas seulement là, il est aussi et d’abord dans la forme narrative que compose Sébastien Betbeder. Sa chronique du quotidien de trentenaires interrogeantleurs interrogations, entre drame et comédie, invente une forme cinématographique originale qui dynamite au passage les poncifs de la classique rhétoriqueamour/bonheur/mélancolie. Il mélange sans prévenir le off, le dialogue classique ou, tout à coup, le face caméra, le grain du 16 mm avec la précision clinique du numérique. Pas un exercice de style pour autant, le projet de 2 automnes, 3 hivers c’est aussi de dire, sans effets de manche, la réalité et les inquiétudes d’une sale époque.
Evidemment Betbeder a vu beaucoup de films, il en cite quelques uns, Bresson, Tanner, Eugène Green et même Romero et ses morts-vivants, mais son film n’est rien qu’à lui. Participant à la nouvelle Nouvelle Vague du cinéma français, des cinéastes qui chacun à leur façon ne veulent pas faire comme hier.
La poésie douce-amère de 2 automnes, 3 hivers est servie par un casting impeccable,Vincent Macaigne en tête, ce nouvel indispensable comédien dont on espère qu’il saura s’économiser en ne s’abonnant pas aux rôles de personnages décalés-dépressifs que lui a souvent proposé ces derniers temps le cinéma indé. S’il coupait sa barbe et ses cheveux, ça donnerait quoi?
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