L’Affaire du Siècle: Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #188
Marco, ayant signé une pétition pour poursuivre l’État français en justice, se rend compte que ce geste anodin est lourd de sens.
Quand j’étais jeune, « l’affaire du siècle », c’était un truc d’occase – batterie, mobylette, voiture, ou autre – dont clairement la valeur réelle était bien, bien supérieure au prix qui en était demandé. En l’achetant, on allait quasiment s’enrichir… Puis les affaires du siècle ont disparu de mon horizon, sans doute à la suite de quelques expériences salutaires.
De la mobylette et du Siècle …
La dernière affaire du siècle sur laquelle je suis tombé – l’autre matin donc – n’allait pas nous enrichir, au mieux elle allait peut-être nous empêcher de disparaître dans la fin des temps. “Quatre associations (…) ont décidé, au nom de l’intérêt général, d’attaquer l’État français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques… » C’est L’Affaire du Siècle. L’annonce était accompagnée d’une pétition pour soutenir le recours en justice*.
J’ai signé sans avoir à y penser plus de dix secondes. L’action me paraissait parfaitement naturelle. Aux États-Unis, l’endroit qui ressemble le plus à ce que je pourrais appeler “chez moi“, les recours en justice de ce genre font florès.
Petit florilège:
– Quinze élèves de l’école de Parkland en Floride, où en février dernier un tireur a tué 17 étudiants, ont entamé une action devant la justice fédérale, arguant que leurs droits constitutionnels avaient été violés en raison de l’intervention inepte de la police.
– Dans l’État de Rhode Island, après les dernières élections de novembre, des élèves et des parents d’élèves ont entamé devant la cour fédérale une procédure contre le gouverneur et les responsables de l’éducation, au motif que les écoles ne préparent pas les enfants à participer pleinement à la vie civique.
– En 2015, 21 jeunes de l’État d’Oregon ont lancé une procédure contre l’État fédéral pour « violation du droit constitutionnel de la jeune génération à la vie, la liberté et la propriété », et pour avoir « négligé de protéger des ressources naturelles publiques essentielles ». De requêtes en irrecevabilité en motions de procédure, le dossier est arrivé cette année devant la Cour Suprême des États-Unis, qui a rejeté les différents appels déposés par le gouvernement Trump. Le procès devrait démarrer dans les mois à venir.
Cette “Affaire du Siècle“ me paraissait donc aller de soi, et je l’ai largement diffusée. Les réactions ont été parfois mitigées, un peu à l’image de celle du le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, qui jugea – un peu péremptoirement, trouvé-je – que « ce n’est pas à des juges de forcer le gouvernement à prendre une loi, ce n’est pas le sens de nos institutions ». Bref, le judiciaire devrait rester à sa place.
La séparation des pouvoirs …
J’avais oublié que la justice en France n’a pas vraiment le statut d’un pouvoir indépendant, au contraire des États-Unis où les trois pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire – ont pour mission de se contrôler mutuellement (les Pères Fondateurs avaient, eux, vraiment lu Montesquieu**, ce qui fait que la notion d’État y est bien moins solennelle et empreinte de déférence. Le mot de Louis XIV, « L’État, c’est moi« , aide à se rappeler à quel point l’État – sensément démocratique – est perçu comme « souverain » par les Français (pour illustration, voir les ébats médiatiques sur le caractère jupitérien du Président).
Une telle notion de souveraineté de l’État n’a pas cours aux États-Unis***, et cette discussion y serait tout simplement incompréhensible. D’ailleurs, je n’y comprends moi-même plus grand-chose, et j’évite donc soigneusement de participer aux discussions sur ces sujets en France, et même d’avoir une opinion, ayant pris conscience au fil des années à quel point mes modèles mentaux ont dérivé et ne sont plus compatibles avec ceux qui ont toujours cours chez mes amis de confession française. J’en déduis aussi que, in fine, la vie politique américaine doit être pratiquement incompréhensible pour ceux qui l’observent – souvent avec une certaine condescendance – depuis les rives de la Seine.
Alors que je contemplais ce grand clivage, Paula m’a parlé de l’interview lundi 31 décembre sur France-Culture de Pierre-Henri Castel, agrégé de philosophie et psychanalyste français qui vient de publier Le mal qui vient: Essai hâtif sur la fin des temps. La prémisse de notre Cassandre est sombre: les preuves scientifiques sont claires; la fin du monde est inéluctable, et se produira probablement dans quelques siècles. Alors, avant l’effondrement final, jouissons et suivons la logique de notre système économique jusqu’à son point terminal absurde.
Conclusion en forme de pirouette: Quelle main trouve-t-on derrière l’Affaire du siècle? Mais celle des anglo-saxons, bien évidemment; parmi les quatre organisations qui parrainent ce crime de lèse-majesté, on trouve Greenpeace et Oxfam. Paula pense que je ne suis pas fair-play; il s’agit, dit-elle, de Greenpeace France et de Oxfam France, mais je persiste et signe.
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