Bel essai cinématographique et poétique. Terre, eau, cosmos, nous sommes Patagonie.
Le bouton de nacre – Patricio GUZMAN (Chili) -1h22
Qui savait que la Patagonie devait peut-être son nom à la terreur dont avait été pris un lieutenant de Magellan, au XVI° sècle, en croisant les indigènes dont il venait coloniser le territoire? Il avait raconté avoir aperçu de monstrueux géants aux pieds (patas en espagnol) gigantesques… Anecdote? En tout cas diaboliser pour mieux anéantir.
Car, moins anecdotique, ces peuples qui vivaient là depuis des milliers d’années, arrivés on ne sait d’où ni comment, allaient être décimés par la colonisation. Simplement exterminés ou regroupés dans des camps tenus par des religieux, notamment sur l’île de Dawson, où ils contractent des maladies européennes auxquelles ils ne savent résister. Les survivants sont habillés comme leurs nouveaux maîtres, éduqués comme il faut, il faut les civiliser donc les débarrasser de leur langue, de leurs mœurs, de leur culture. Au XIX° siècle, un commandant de la marine britannique en rapporte un dans son pays contre un bouton de nacre qu’il lui offre et qui lui vaut le sobriquet de Jemmy Button. La tentative de mise aux normes fait que quand, quelques années plus tard il reviendra sur sa terre, c’est un homme mort.
Qui étaient-ils ces kawésqars ou ces yegans qui étaient là-bas les premiers? Quelques-uns de ceux qui ont résisté aux nouvelles colonisations et confiscations, au désœuvrement et à l’alcoolisme, racontent. C’étaient des marins, des associés de l’eau qui est partout dans cet archipel du sud chilien (une autre partie est argentine), un labyrinthe de terre et de mer qu’ils connaissaient par cœur pour les parcourir sans cesse sur leurs frêles embarcations qui défiaient les lois des vagues et du vent.
Parabole
Patricio Guzman raconte cette vie dure mais épique, cette entente de ces rudes habitants d’hier avec leur environnement. L’apport documentaire du film est riche et passionnant, mais « Le bouton de nacre » est d’abord une parabole sur la possible communion de l’Homme avec son Univers. L’eau en est la condition indispensable, celle que les astrophysiciens du monde entier recherchent sur les planètes lointaines pour y détecter un signe de vie avec leurs télescopes géants installés dans le désert d’Atacama que le réalisateur montrait dans son film précédent « Nostalgie de la lumière« . Guzman est un nostalgique de cet accord devenu improbable dans un monde toujours plus matérialiste. Les amérindiens de Patagonie pensaient que les étoiles représentaient le scintillement de l’âme des anciens.
Humaniste chilien traumatisé par le coup d’état qui renversa Salvador Allende en 1973 (il l’évoque dans tous ses films), il rappelle que c’est dans cette même île de Dawson que la cynique dictature de Pinochet organisa un camp de concentration des opposants. C’est au large de la Patagonie que furent jetés en mer des centaines de corps lestés par des morceaux de rails pour mieux les faire couler. Incrusté sur l’un de ces morceaux d’acier retrouvé par des plongeurs, un bouton de chemise, encore. Il est exposé dans un musée.
« Le bouton de nacre » est un manifeste d’espoir et d’envie. Comment ne pas le considérer, l’espérer, quand Guzman l’appuie sur ses magnifiques images de cette terre sauvage et volontaire, entre mer et montagnes volcaniques, entre l’eau et l’air, entre l’ici et le lointain.
Si loin, si proche.
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