Un nouveau venu dans la comédie mélancolique new-yorkaise. Alex Ross Perry invente un clown triste et égotiste qui brûle tout sur son passage troublant de vérité. Son double? Le cinéma est aussi un miroir.
Philip Lewis Friedman, jeune écrivain new-yorkais tourmenté, sort son deuxième roman et se voit déjà dans le destin d’un écrivain à succès. Il est arrogant, cynique, capricieux, grognon, égocentrique, bref c’est un être odieux. Un monstre, dans tous les sens du terme, celui que l’on exècre ou/et que l’on admire quand on le croit sacré. C’est bien ce qu’en pensent ses petites amies qui le larguent régulièrement, excédées par son égoïsme après avoir été fascinées puis accrochées par le brillant jeune homme. Accessoirement, ce Philip est la première victime de lui-même, car son insolence provocatrice cache évidemment de gros doutes intérieurs.
L’astuce du film c’est de faire d’une personnalité insupportable son personnage principal, jusqu’au bout, amendement et rédemption ne sont apparemment pas au programme. Il faut en accepter le parti (et saluer la performance de Jason Schwartzman qui l’incarne sans concession) pour profiter, en conséquence de toute la saveur des personnages qui viennent plus ou moins volontairement se brûler les ailes à son contact.
Ainsi Ashley (Elisabeth Moss), son actuelle petite amie, mais plus pour longtemps. Photographe épanouie, bien dans son travail, dans sa vie et dans son corps au point d’en être presque aveuglée de bien-être. L’échec de sa relation avec un ours et la nécessité d’adopter un chat (également mal léché) lui ouvriront plus grands les yeux.
Les ailes de Ike (Jonathan Pryce) sont désormais repliées, auteur sexagénaire en demi-retraite, c’est aux gros succès de ses romans qu’il les avait un peu roussies naguère et, imaginant retrouver de la sève, il s’impose en mentor paternel à Philip dont il se révèle être comme un miroir de demain, le tain défraîchi. Ike, lassé de l’infertilité de la ville vit à ce moment-là à la campagne avec sa fille Mélanie (Krysten Ritter) qui n’est pas dupe des petits arrangements de son père avec la vie, avec l’amour et avec l’âge du whisky qu’il sert à ses invités, elle ne se gêne pas pour le faire savoir, y compris à Philip dont l’ego serait mécaniquement tenté de la séduire.
Enfin, Yvette (Joséphine de la Baume), la prof française qui accueille avec un bazooka le jeune auteur venu marcher sur ses plates-bandes de prof de fac: elle a étudié pendant des années quant Philippe débarque avec ses seuls deux romans pour tout diplôme. Une telle agressivité ne peut se transformer qu’en séduction et possible love story -d’autant qu’Yvette est jolie femme- jusqu’à ce que Philip foute à nouveau tout en l’air.
Cette petite comédie humaine, burlesque autant qu’amère a un prix, celui d’un film forcément bavard, efficacement pollué par la logorrhée constamment auto-satisfaite (risible, donc drôle) d’un génie auto-proclamé mais qui n’est pas dépourvu de flashes de lucidité. On s’acquittera sans broncher de la dépense, elle vaut largement le coût d’un ticket de cinéma très juste.
Bonne idée encore, c’est sur une jolie partition musicale de cool jazz, que se déballe le speed et le stress d’une vie bobo newyorkaise qui tend la toile. Son héros est un bouffon qui ne sourit jamais et qui dans ses compulsifs questionnements et sentences rappelle un ancien habitué de Manhattan: Woody Allen.
Que lui conseiller? Listen up Philip! Ecoute les autres, enfin!
Someone you love – Pernille FISCHER CHRISTENSEN (Danemark) 1h35
Un chanteur danois exilé depuis des années à Los Angeles revient au pays. Séxagénaire, une voix grave et rauque à la Leonard Cohen, éraillée par les cigarettes, l’alcool, d’autres abus divers et quelques blessures intérieures douloureuses. Depuis quelques années, il est clean et entend le rester quitte à s’enfermer sur lui-même. Il retrouve sa fille, qui avoue être dans la coke jusqu’aux yeux, part en cure et lui colle en garde son fils de 10 ans, il n’a pas le choix.
Certes, la délivrance du grand père rock au contact de l’innocence de son petit fils est assez prévisible, mais le film aborde avec une certaine pertinence les thèmes de la parentalité et des sourds conflits familiaux nourris de vieilles cachotteries. Et le film évite habilement la vulgarité d’un pathos trop appuyé.
En salles, également cette semaine, Discount, un premier long métrage de Louis-Julien Petit qui par la comédie (Les employés d’un supermarché discountent les invendus) s’attaque aux conséquences de l’ultralibéralisme sur les mentalités et les comportements des salariés. La solidarité est une réponse aux formes modernes de l’esclavage. Ce film se veut « une comédie à la Ken Loach ». La barre est un peu haut même si l’intention est louable et prometteuse. Nous avions rencontré son réalisateur, en novembre, au dernier festival du film de Sarlat pour un « mot à mot ».
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