Jordanie: C’est une maison bleue. Les carnets d’ailleurs de Marco & Paula #167
Paula, qui a décidé de se sortir de sa torpeur laborieuse et d’aller voir ailleurs, se retrouve dans une maison bleue cachée dans le sable.
Amman : 42ème jour
Cela a commencé dans la soirée de jeudi, qui est ici le dernier jour de la semaine. Une des possibilités de l’alternative était de rentrer directement à l’appartement comme chaque soir et, comme chaque week-end et de n’en ressortir que le dimanche pour retourner travailler. En marchant, j’ai réalisé que le Ramadan étant terminé, le marchand de bières serait ouvert. Une visite s’imposait. Un premier petit changement à la routine. La bière, la relative fraîcheur et la fin d’une semaine dense nous ont donné envie de sortir, ma collègue et moi. Oh, pas bien loin, à quelques rues de là, mais assez pour être ailleurs – le temps de déguster une crêpe à la minuscule terrasse d’un aussi minuscule salon de thé jordanien d’inspiration très britannique.
En fait, nous avions l’une et l’autre des fourmis dans les jambes. Deux jours auparavant, nous avions consacré de longues heures – et fort avant dans la nuit – à la version que nous espérions finale – sans trop y croire – d’un nouveau projet. J’avais également passé les quatre journées fériées de l’Aïd seule, enfermée à travailler mon rapport de fin de mission.
Alors, oui, nous avions des envies d’ailleurs, de balades, de cinéma, de papotage à la terrasse d’un café. Dont acte! y compris notre résolution d’assister à au moins deux projections du Festival de cinéma Franco-arabe.
Le vendredi m’a pourtant retrouvé clouée une fois de plus devant l’ordinateur, à chantonner « Ça vaut pas la peine — de laisser ceux qu’on aime — pour aller faire tourner – des ordis sous mon nez »*.
Mais samedi, nous sommes parties à Jerash, un site romain incontournable de la Jordanie.
Que nous boudons. Ma collègue le connaît par cœur, et j’ai encore dans les yeux le site romain de Tipazza en Algérie (Nomad’s #152). Nous sommes invitées chez un fou d’archéologie qui, parti de son Vesoul natal, a fini par se poser à Jerash voici une dizaine d’années. Aujourd’hui à la retraite, il tient une maison d’hôte quoique ce terme l’indispose: il ne reçoit que des personnes sur recommandation. Il n’a clairement pas envie de s’encombrer de touristes lambda.
La ville n’échappe pas à cette règle, qui daterait du mandat britannique et qui impose de ne construire que des bâtiments couleur sable. Cette monochromie, renforcée par un vent souvent chargé de sable en suspension, me donne le sentiment d’évoluer continuellement dans une photo sépia. Aussi, j’ai le plaisir de découvrir une petite villa dont les murs intérieurs sont d’un blanc éclatant et les volets bleu provençal. La chaleur se fait plus douce, le rappel omniprésent du désert disparaît. Dans ma robe estivale au large décolleté que je me suis autorisée pour une fois, je me sens en villégiature.
L’intérieur de cette maison est un hommage à Niki de Saint Phalle, combiné avec un assemblage un peu surréaliste de fossiles, de tessons et d’œuvres en bois peint d’un Jordanien qui partage les lieux. On y débusque aussi des toiles d’artistes locaux exposées pour d’hypothétiques amateurs.
La tablée de ce samedi est hétéroclite: un prêtre qui ne ressemble pas un prêtre, un ex-commandant de l’armée reconverti en expert sécurité d’un groupe industriel international, un artiste, ma collègue costaricaine-française-mariée-à-un Arabe-de-Jérusalem, notre hôte et moi, nomade parmi tous ces nomades. On plaisante en français et arabe, on mange jordanien revisité, on boit sans grande conviction un merlot sud-africain. Notre conversation, passée l’échange des dernières nouvelles, s’oriente sur la circulation souterraine des œuvres d’art et des antiquités, non pas au Proche-Orient mais dans la région de Vesoul et pendant les temps troublés de l’occupation allemande.
L’ancien militaire frôle la caricature et me fait sourire. Il vit au Proche-Orient depuis une douzaine d’années mais a soigneusement sélectionné les termes de son assimilation. Il a appris l’arabe mais a évité de s’intéresser à l’Islam, de peur peut-être d’ébranler sa foi chrétienne, et il manie les clichés avec application.
En repartant, nous passons devant le site et j’en profite pour prendre quelques photos de l’arc d’Hadrien, ce-même Hadrien, bâtisseur du mur dont nous avions vu, Marco et moi, les vestiges en Ecosse, quelques années auparavant. Pas la moitié d’un nomade celui-là.
Alors que je suis sur un étroit trottoir, l’objectif de mon appareil glissé entre les mailles d’un grillage pour saisir quelques clichés, je me retrouve soudain cernée par cinq cavaliers qui pressent leurs chevaux contre moi. Rien d’agressif mais nettement l’envie de se jouer de cette touriste isolée, qui, doivent-ils s’imaginer, ne connaît rien aux chevaux. Comme je me mets à gratouiller le front de leurs montures, un grand sourire aux lèvres, et que je ne réagis à aucun de leur propos faute de les comprendre, ils s’éloignent rapidement, déçus me semble-t-il. Je ne leur ai pas fourni matière à vantardise.
Nous rentrons et j’ai déjà l’envie de repartir ailleurs. Ce sera le rivage de la Mer morte ou bien de la Rouge, ou pourquoi pas Petra?
*Paraphrase de la chanson de Beau-Dommage, La complainte du phoque en Alaska
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