« Traversée » de Francis Tabouret. Le « Mot à mot » d’un écrivain livreur d’animaux
Il se dit « convoyeur de chevaux… une sorte de steward équin… soigneur de bêtes ». On l’image : combinaison verte maniant la fourche et aérant la paille. Réserve faite que ce métier de hauts vols permet parfois des traversées d’atlantique sur d’interminables porte-conteneurs; que cet inédit de transport donne un livre où se disent une temporalité et un rapport à l’espace singuliers
Francis Tabouret a également été régisseur de spectacles équestres. Il sait conduire des camions, a publié des textes dans lesquels on se voyage à vélo en région parisienne ou dans lesquels on questionne des organisateurs de safaris. Ce jeune auteur P.O.L, l’un des derniers remarqués par l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens avant sa mort accidentelle.
C’est un quadra énergique, au sourire facile, à la présence tranquille. Un jeune homme qui bouge et dont le mouvement (il n’écrit qu’hors de chez lui) est une seconde nature et l’attention aux animaux une évidence. Ses tours du monde, c’est avec eux qu’il les fait et ce sont eux qui l’ont aidé à « supporter »cette traversée-là : treize jours entre Le Havre et Les Antilles, douze chevaux, quinze moutons et huit taureaux, une masse de ferraille et de gigantesques boîtes empilées sur des centaines de mètres de ponts. Au total, c’est également une infinie solitude que dit ce « journal de bord ». Bien sûr, il y a quelques conversations avec un équipage réduit ou confinés dans ses tâches, quelques amabilités avec d’autres rares passagers, les quelques objets qui refont un chez soi. Mais, paradoxalement la mer est loin, sous des tonnes de ferraille et le soin des animaux est nécessaire (tout un métier) mais permet aussi de sortir des moments de rumination dans des temps si longs et si répétitifs. Les mots sont brillamment l’autre viatique de l’homme à la combinaison verte.
« Traversée » dit cet ordinaire et cette forme d’enfermement entre ciel et eau dans un « monastère » métallique et flottant de cloisons et de profondeurs à l’organisation si ritualisée.
Francis Tabouret livre corps et âme ce moment supendu entre deux continents qu’il détaille dans ce « mot à mot » enregistré le 3 avril 2018 …
Le voyage dont il est question ici a eu lieu fin 2014, à bord du porte-conteneurs Le Fort Saint-Pierre et le texte raconte le quotidien du narrateur et celui des animaux dont il a la charge, de la nourriture à la santé. C’est une observation de tous les instants. Le moindre tressaillement, le changement de comportement d’une bête peuvent être révélateurs d’un début de maladie, d’une déshydratation dangereuse, etc. Et puis il y a la vie à bord, l’équipage, la place respective des uns et des autres, les rituels, les préséances.
L’une des principales raisons pour lesquelles Francis Tabouret fait ce métier de convoyeur d’animaux est qu’il l’amène en des lieux qui l’intéressent ou l’étonnent – certains pays, les tarmacs, les bateaux, la route par exemple -, qu’il lui permet de découvrir le monde avec une part d’aléatoire.
Il y a, d’un côté, le hasard des destinations qu’il ne choisit pas forcément et, de l’autre, certains choix qu’il fait, comme celui d’embarquer sur un porte-conteneur pour traverser l’Atlantique. Ces voyages et l’écriture sont liés. Les uns servent aux autres. Ils s’entraident. L’écriture est une façon d’enrichir le présent de ces voyages, tandis que ces voyages lui permettent de donner corps à son envie d’écrire. Avec en tête, peut-être, Espèces d’espaces de George Perec, Les Anneaux de Saturne de W.G. Sebald ou Le Pèlerin de J.A. Baker qui sont, chacun à leur manière, des journaux. » © P.O.L
Lire quelques pages du livre …
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Paul Otchakovsky-Laurens m’a contacté quelques mois après que j’ai envoyé mon manuscrit à la maison d’édition. Nous nous sommes vus deux fois. Il m’a annoncé sa décision lors de notre second rendez-vous. Il n’a pas suggéré de corrections.
Je garde un souvenir fort de ces rencontres. Chacun de ses mots avait le juste poids, aucun n’était inutile. J’ai été très marqué et touché par sa délicatesse et ses attentions, par sa vitalité, par le cadeau que fut pour moi sa confiance, en choisissant de publier ce texte, et par son intérêt exprimé et son engagement envers mon œuvre à venir en choisissant de me faire entrer dans sa maison d’édition. Je ne pouvais rêver meilleur éditeur.Francis Tabouret. « Libération », 9 mars 2018.
Francis Tabouret. « Libération », 9 mars 2018.
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