« Leçons de grec » de Han Kang: lire Platon et guérir
Entrer dans un roman de Han Kang c’est pousser la porte d’un monde dans lequel onirisme et poésie mènent la danse. Dans « La végétarienne » la romancière mettait en scène une femme qui au-delà de la simple toquade alimentaire rêvait de devenir une plante. Dans « Leçons de grec » cette obsession du végétal s’est déplacée du côté de la langue
Son héroïne souffre depuis l’enfance d’un mal étrange: régulièrement et sans qu’elle sache pourquoi, elle perd sa voix. Han Kang donnera bien sûr quelques indices comme le récent divorce de cette femme à qui la garde de son enfant n’a pas été confiée. Ou cette mère qui lorsqu’elle attendait sa fille aurait préféré ne pas mener sa grossesse à terme. Mais l’essentiel n’est pas là. Et la jeune femme aura beau consulter médecins et psychiatres, le mystère n’en demeurera pas moins entier. En réponses à toutes ces hypothèses une seule et même conclusion « Cela ne pouvait pas être aussi simple ». D’autant que lorsqu’elle perd sa voix, la jeune femme éprouve la plus grande difficulté à écrire. Lassée de ses démêlés avec l’idiome maternel, l’héroïne de Han Kang décide de s’atteler à une langue ancienne et s’inscrit à un cours de grec.
On ne dira jamais assez l’importance des langues dites mortes et plus encore de la fréquentation des textes fondateurs. Chaque semaine celle qui avait perdu la faculté de parler traduit La République de Platon sans se douter que la guérison se trouve au bout du chemin. « Vingt ans auparavant, elle n’aurait jamais imaginé qu’une langue étrangère et non la sienne puisse briser son mutisme. Si aujourd’hui elle apprend le grec ancien dans cet établissement privé, c’est qu’elle a envie de retrouver le langage par sa propre volonté ». Elle y parviendra, guidée par un professeur qui « savait lui aussi que le Beau n’existait pas. Que le Parfait n’existait jamais. Du moins en ce monde ». Souffrant d’une maladie contractée dans l’enfance, le jeune homme sait qu’il deviendra inévitablement aveugle. « Comme il s’agit d’une évolution progressive commencée longtemps auparavant, je n’ai plus besoin de m’y préparer. Les jours ensoleillés je me contente de passer l’après-midi dans ma ruelle, tel un prisonnier qui fait durer la cigarette qu’on lui a autorisée ». Le professeur finira par aborder la jeune fille mutique. Ces deux- là étaient fait pour se rencontrer telles les âmes sœurs imaginées par Platon dans Le Banquet.
Variation sur la langue, Leçons de grec est un roman d’une poésie rare. Un livre lumineux et bouleversant.
Leçons de grec – Han Kang – Le Serpent à plumes – 192 pages
(photo de Han Kang: © D.R.)
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