🏝 Une valse à mille temps. Deux dans l’üle #23

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Aujourd’hui prend fin la valse des visites que Robin et ZoĂ© dansent depuis le mois d’avril. L’occasion pour ZoĂ© de peser l’ici et l’ailleurs.

Viens faire un tour Ă  la maison

Depuis les vacances de PĂąques, nous n’avons pas Ă©tĂ© si souvent seuls. Nos familles et amis se sont en effet relayĂ©s et nous ont accompagnĂ©s durant nos premiers mois d’üliens. Chacun, Ă  sa maniĂšre, nous a Ă©paulĂ©s. Les conseils des uns, les coups de bĂȘche des autres, les yeux neufs qui aiguillonnent notre attention dĂ©jĂ  Ă©moussĂ©e par le cĂŽtoiement quotidien, les repas rĂ©inventĂ©s, la conversation ranimĂ©e
 Avec tous, nos journĂ©es changeaient, selon leur rythme, leurs envies, nos envies en leur prĂ©sence. Jardinage, transats, recensement des espĂšces d’arbres implantĂ©es sur l’üle, dĂ©couverte de l’archipel en canoĂ«, recherche collective d’une fuite dans le zodiac, balles Ă©changĂ©es sur le court de tennis aprĂšs un bon nettoyage des plages, le tout saupoudrĂ© d’apĂ©ritifs baignĂ©s dans les derniers rayons du soleil, au bord de l’eau. C’était une vraie surprise de me voir tant apprĂ©cier cette compagnie presque incessante. Je suis plutĂŽt solitaire, j’ai besoin de me retrouver, de vivre Ă  mon rythme, sinon je suis trĂšs vite fatiguĂ©e. Pourtant, jamais je n’ai subi nos invitĂ©s. L’üle est grande bien sĂ»r, notre maison aussi, le temps qui y coule est diffĂ©rent de celui du continent et puis, quand on vient nous voir, on vient passer des vacances, ça doit jouer, tout est plus apaisĂ© et tranquille.

Crapahuter dans les rochers et découvrir de nouvelles criques. © R&Z

C’est assez Ă©trange d’ailleurs d’ĂȘtre les gardiens d’un lieu de vacances. Je veux dire, mĂȘme pour nos proches, quand ils viennent nous voir, ils viennent passer des vacances. Sans doute n’est-ce pas exceptionnel en soi mais ça l’est pour moi. Jusqu’à prĂ©sent, je n’étais jamais suffisamment installĂ©e pour que l’on puisse mĂȘme avoir envie de venir passer une nuit chez moi. J’exagĂšre parce qu’il y a eu l’Inde, oĂč nous avons vĂ©cu avant Paris, mais alors le voyage Ă©tait si long, si cher et la destination si dĂ©paysante que le rythme Ă©tait frĂ©nĂ©tique et tous les pores tournĂ©s vers le dehors. Ici c’est diffĂ©rent. Ce sont de vraies vacances, il n’y a pas d’autre mot. C’est bien plus qu’une visite, ce sont des vacances au sens premier du terme. L’üle est apaisante, elle oblige au repos des habitudes, Ă  leur mise entre parenthĂšses. Ainsi, on vient passer des vacances sur ce qui est tout de mĂȘme mon lieu de travail et quand, comme c’est actuellement le cas, dĂ©marre la saison des dĂ©parts en vacances, moi j’attends encore que l’on vienne me visiter. Sauf que c’est dĂ©sormais au tour des propriĂ©taires et que moi je rĂȘve d’un Ă©tĂ© Ă  vagabonder sur les routes en ne pensant Ă  rien. Jamais contente, hĂ©!

Contentement, oĂč es-tu ?

Et cependant, contente, je le suis. Nous avons devant nous dix jours d’intense activitĂ© pour mettre l’üle en ordre avant un mois de cohabitation avec les propriĂ©taires, mais aprĂšs
 AprĂšs c’est la fin de la saison. DĂ©jĂ ! AprĂšs dĂ©marre, je crois, le dĂ©but des mauvais jours mais cela signifie aussi la mise au repos de la nature. Et si j’étais ravie, il y a quelques semaines, qu’elle se rĂ©veille, je vais ĂȘtre Ă©galement ravie qu’elle se repose bientĂŽt. C’est Ă©videmment parce que tout cet environnement est neuf pour nous et que l’on doit trĂšs mal s’y prendre mais j’ai l’impression que nous n’arrĂȘtons pas de tailler, nourrir, arroser, ratisser, arranger
 C’est sans fin cette histoire!

Entre exubérance et discrétion, je vous présente la salle des machines de la piscine, notre deuxiÚme maison depuis quelques jours. © R&Z

Avec la fin de l’étĂ© vient donc la fin de l’attente (des visites de nos amis, des propriĂ©taires, et bien sĂ»r aussi de la sentence de ces fameux propriĂ©taires sur notre travail), la fin du travail (ou presque) et la rĂ©appropriation du temps. Parce que s’il y a des heures de torpeur oĂč nous ne n’accomplissons rien, elles sont tout de mĂȘme, malgrĂ© nous, malgrĂ© nos efforts contre cette mĂ©chante habitude, teintĂ©es de culpabilitĂ© et d’inquiĂ©tude: faisons-nous assez pour l’üle? MĂȘme dĂ©barrassĂ©s de la plupart des instances de surveillance auxquelles nous sommes soumis dans un travail « normal », il s’avĂšre difficile de se dĂ©tacher de la peur du reproche. Or bientĂŽt, puisqu’il n’y aura rien Ă  faire sur l’üle (toujours, bien entendu, en comparaison de l’activitĂ© actuelle), alors il n’y aura plus de motif de culpabilitĂ©, et alors je pourrais apprĂ©cier pleinement ma tranquillitĂ©. Que de plans sur la comĂšte, n’est-ce pas?

Je t’aime, moi non plus

La tranquillitĂ©, je l’aime et je la fuis. Quand on a atterri sur l’üle, j’étais tellement excitĂ©e par l’idĂ©e de l’üle que je dĂ©sirais ardemment partager cette folie avec ceux que j’aime. Pourtant, petit Ă  petit, la folie devenant la norme, l’üle se dĂ©tache en mon esprit de son exotisme et, si je ne me lasse pas de la parcourir, je ressens moins son caractĂšre exceptionnel. Je mue peu Ă  peu de vacanciĂšre Ă  rĂ©sidente, ou du moins j’en ai envie. Attention! Cela ne signifie pas que je veuille oublier mes escapades parisiennes, elle me font du bien, me permettent de me rabibocher avec cette ville -une folie elle aussi- et, Ă©tonnamment, de me retrouver un peu seule. Mais je voudrais aussi exercer ce pour quoi nous nous sommes engagĂ©s, une vie solitaire face aux Ă©lĂ©ments.

Tant d’ülots sur lesquels aller poser le pied sont pour l’instant aurĂ©olĂ©s de mystĂšre. © R&Z

Pour l’heure, les Ă©lĂ©ments ont quand mĂȘme Ă©tĂ© trĂšs clĂ©ments (oui, oui, vite oubliĂ©es sont les frayeurs maritimes de la fin d’hiver), je pense que nous avons bĂ©nĂ©ficiĂ© du printemps-Ă©tĂ© le plus ensoleillĂ© que la rĂ©gion ai connu depuis des annĂ©es – ou alors la rengaine sur le temps breton est un mensonge Ă©hontĂ©. Et la solitude
 bien sĂ»r, nous avons rĂ©ussi Ă  l’éprouver malgrĂ© les visites mais, justement, nous attendions d’ĂȘtre seuls pour lancer les travaux les plus pĂ©nibles, pour ne pas bassiner nos invitĂ©s avec le plus contraignant, et nous avons donc passĂ© la majeure partie de notre temps solitaire en galĂšres. Ce qui, je l’espĂšre, n’est pas une rĂšgle. Je voudrais avoir le temps de dĂ©ambuler seule sur l’üle sans mon sĂ©cateur Ă  la main ni l’Ɠil arrĂȘtĂ© presque Ă  chaque pas par la pensĂ©e d’une tĂąche Ă  mener. Je voudrais penser notre maison qui est un peu, et un peu plus chaque jour, en chantier, ce que j’aime et que je souhaite pourtant voir Ă©voluer. Mais ce que je voudrais surtout, c’est avoir le temps de me tourner vers nos voisins d’üle, me frayer un chemin vers les quelques centaines d’habitants annuels de l’üle qui jouxte la nĂŽtre, dĂ©couvrir la vie de village, les habituĂ©s du cafĂ©, me familiariser Ă  leur fort accent breton et recueillir de ces langues Ă  l’air rustre et rĂȘche les histoires du coin, les secrets de pĂȘche et les jardins dans lesquels, la saison terminĂ©e et les estivants partis, s’opĂšrent des raids sur les pommiers abandonnĂ©s.
Si je rĂ©sume, je recherche la tranquillitĂ©, sur une Ăźle dont je dois m’occuper, en invitant Ă  tour de bras, en me crĂ©ant des obligations Ă  Paris et en aspirant Ă  m’insĂ©rer dans la vie locale. Bah!

â–ș Deux dans l’üle: l’intĂ©grale

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